© Jean Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
En avant Marx !
Sur une Cène politique bi frontale treize apôtres banquettent, passent du coq à l’âne, s’invectivent sur les moyens de transformer une révolte en révolution, modérés et radicaux s’étripent. Nous sommes le 13 mai 1848 à Paris au club des amis du peuple, rue Transnonain. Le 23 avril précédent avait été élue pour la première fois au suffrage universel (masculin) l’Assemblée Constituante suite au renversement de la monarchie de juillet. Dans le rôle du « père » spirituel le chimiste Raspail, excellent Vladislav Galard, à l’accent occitan pour la circonstance qui soigne sa bronchite à coups d’inhalation et bien sûr l’illustre Karl qui décoiffe avec son masque rouge, témoin d’une manifestation bien arrosée. On déboulonne les statues chez Sylvain Creuzevault d’autant qu’on les aime. Les disciples, Louis Blanc, Armand Barbès, Auguste Blanqui avant d’être des stations de métro ou des boulevards parisiens furent des socialistes qui voulaient abattre la jeune république et installer un régime plus proche du peuple. Ils paieront cher leur engagement, prison, relégation, bannissement ; certains ont du style, une vision, d’autres bouffonnent plein pot en « fou du roi » (excellent Leo-Antonin Lutinier). Ces hommes et ces (rares) femmes composeront bientôt « la classe ouvrière » une espèce en voie de disparition aujourd’hui. Banquet Capital montre comment la thèse marxiste se greffe à la protestation d’un mouvement naissant de travailleurs qui refusent d’être méprisés.
Ce spectacle, incroyable moment festif d’économie politique, a la force du déséquilibre, constamment sur la brèche avec quelques chaises, des tables, peu d’effets de lumière, les répétitions et les improvisations préparent la rencontre avec le public qui parachève le tout. La troupe remet sans cesse son ouvrage à l’épreuve du plateau et le jeu avec une mémoire collective restitue l’humanité des figures historiques grâce à des acteurs hors pairs. Puissants et nerveux, ils fleurtent sur le grotesque et la démesure sans perdre de vue le spectateur qu’ils mettent dans leur poche d’un regard. La Révolution est un théâtre, on le savait déjà depuis Mnouchkine et Notre Terreur du même Creuzevault en 2009. Seize ans plus tard est toujours verte, la fine équipe !
Moment d’anthologie, l’incroyable joute théorique sur le concept marxiste de valeur d’une marchandise où l’ouvrier Firmin réalise son état d’exploité dans un instant poignant de prise de conscience silencieuse. De quels rêves sont faites les nuits des ouvriers par-delà la récupération de leur force de travail ? Ces débats porteurs d’utopie les restaurent dans leur dignité de sujets pensants au sein de clubs où se côtoient intellectuels et prolétaires.
Le procès des insurgés en seconde partie atteint des sommets dans la pantomime avec, en invités d’honneur, Lacan et Freud. Le procureur (magistral Sylvain Soulier) dérape no limite en marionnette désarticulée.
Sylvain Creuzevault pratique le collage burlesque sec, au cinéma on parlerait de montage cut. Il juxtapose sans transition les époques, les idées et les anecdotes à une vitesse telle que le spectateur se sent un peu largué parfois tandis que ses valeureux comédiens avalent sans barguigner les concepts du Capital (un pensum quand même malgré son intérêt).
Au banquet révolutionnaire, le couvert est remis tous les soirs, on en sort requinqué, joyeux, l’esprit aiguisé, un dernier Marx pour la route, le public en redemande !
© Jean Louis Fernandez
Banquet Capital, d’après Karl Marx, création collective
Mise en scène : Sylvain Creuzevault
Régie lumière et régie générale : Arthur Mandô
Avec : Vincent Arot, Benoit Carré, Antoine Cegarra, Noémie Develay-Ressiguier, Pierre Devérines, Vladislav Galard, Arthur Igual, Julie Lesgages, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa
Du mardi 15 au vendredi 18 octobre 2024 à 20h
Durée : 1h40
Théâtre 71, Malakoff Scène Nationale
3 place du 11 novembre
92240 Malakoff
Réservations : 01 55 48 91 00
https://billeterie.theatre71.com
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