© Pascale Cholette
ƒ article de JB Corteggiani
Chez les étudiants de lettres et de philosophie, à la toute fin du deuxième millénaire, Gaston Bachelard avait la grosse cote. Il y avait les Grands Maîtres sévères, Freud ou Marx. Et puis il y avait Bachelard, ce déambuleur débonnaire, cet explorateur de l’imaginaire poétique qui invitait à la rêverie en compagnie de Novalis ou Nietzsche, du gnome et de la salamandre, de Hölderlin ou Poë, de l’ondine et de la sylphide. On pouvait convoquer Bachelard pour faire rosir les filles : le « dieu frottement » ne produit-il pas le feu autant que l’amour ? On pouvait aussi le citer pour taquiner ses amis trotskystes : « Enlevez les rêves, vous détruisez l’ouvrier. » Décidément, ce Bachelard était un type bien.
C’est donc presque un ami qu’on va retrouver au théâtre de Montreuil, pour la création de Bachelard Quartet. Et, ça commence bien, le dispositif trifrontal est amical, intime : les spectateurs sont groupés en U autour de Pierre Meunier, dans le rôle du diseur-conteur, de la pianiste Jeanne Bleuse et de la violoncelliste Noémie Boutin – chacune sur un plateau tournant.
Commence la « rêverie » promise par le programme, avec l’évocation d’un enfant qui penché sur un buvard « assèche la Mer Rouge », avec de petits étonnements cratyliens : « Quartz, granite… les mots des substances rocheuses sont durs ! » Il s’agit de « donner aux objets familiers l’amitié qu’ils méritent ». Le metteur en scène Pierre Meunier active sa petite machinerie bricoleuse, dans la lignée des ses précédents spectacles : un bouquet de miroirs brisés fait danser sur les murs des disques lumineux ; un coup de baguette sur le chapeau métallique d’une lampe, écoutez la cloche. Noémie Boutin racle son archet, fait de la musique concrète. Jeanne Bleuse plonge les mains dans la carcasse de son piano grand ouvert et en tracasse les cordes. On se laisse partir. Bachelard dirait : « on se perd dans les choses, on se fait boire par quelque chose ».
Cela se gâte un peu quand les deux (excellentes) solistes sont interrompues, deux fois de suite, par une coupure de courant. Le conteur a relevé le disjoncteur. Eh oui, c’est qu’il est temps de passer au chapitre « feu ». Electricité, feu, vous comprenez ? Le spectacle se charge soudain de lourdeur didactique. Cela se gâte un peu plus quand Pierre Meunier veut faire reprendre au public une question « Où est le feu ? » et sa réponse « Il n’y a pas de feu ». On est deux fois gêné, par l’interpellation intempestive et par la tiède réponse des spectateurs. Va-t-on encore nous demander de frapper dans nos mains ? L’intention de convivialité est louable (un verre sera offert à la fin du spectacle), mais qu’elle est maladroite… Le charme est rompu.
A partir de là, il y a aura encore quelques bons moments. Une très belle interprétation de La danse du feu, de Manuel de Falla. Une variation drôle sur les vertus expressives comparées du hélas français et du ach allemand. L’étonnante histoire de cet homme qui en 1505 se jeta d’un sommet muni d’un harnachement de plumes, se rompit les membres, comprit mais un peu tard que s’il avait échoué à voler, c’est que dans sa voilure, il y avait des plumes de coq – or un coq, c’est bien connu, ne décolle pas de sa basse-cour. D’autres illustrations encore de ces intuitions pré-scientifiques qui, si elles sont fausses, ont une force de poésie (et de cocasserie) peu commune. Borges écrivait souvent : « Je préfère penser que… »
Tout cela est déroulé, comme les chapitres d’un livre, plus que porté, propulsé. Reste une introduction pas déplaisante au volet littéraire de l’œuvre de Bachelard.
© Pascale Cholette
Bachelard Quartet, écrit par Jeanne Bleuse, Noémi Boutin, Pierre Meunier, Marguerite Bordat
Mise en scène : Marguerite Bordat et Pierre Meunier
Lumières : Hervé Frichet
Avec Jeanne Bleuse, Noémi Boutin, Pierre Meunier en compagnie de feu Frédéric Kunze
Rêverie sur les éléments à partir de l’œuvre textuelle de Gaston Bachelard
Textes additionnels : Pierre Meunier
Conception sonore : Géraldine Foucault
Commande musicale : Eve Risser
Conception lumière : Hervé Frichet
Construction, régie : Florian Meneret
Collaboration aux costumes : Camille Lamy
Du 20 au 27 janvier 2022
Mardi, mercredi, jeudi, vendredi à 20 h, samedi à 18 h, dimanche à 17 h, relâche lundi.
Durée : 2 heures
Nouveau théâtre de Montreuil
10 place Jean-Jaurès, 93100 Montreuil
Réservations au 01 48 70 48 90
www.nouveau-theatre-montreuil.com
Puis en tournée :
10 au 11 mars 2022 Les Quinconces – scène nationale du Mans
28 au 30 avril 2022 Le Théâtre d’Orléans – Scène Nationale
17 au 20 mai 2022 Théâtre de Lorient – CDN
31 mai au 03 juin 2022 Comédie de Saint-Étienne
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