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Bach 6 Solo, de Robert Wilson, Lucinda Childs, Jennifer Koh, mis en scène par Robert Wilson, Théâtre de la Ville, Festival d’automne

Sep 10, 2021 | Commentaires fermés sur Bach 6 Solo, de Robert Wilson, Lucinda Childs, Jennifer Koh, mis en scène par Robert Wilson, Théâtre de la Ville, Festival d’automne

 

© Lucie Jansch

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le titre du spectacle pouvant paraître énigmatique est finalement très explicite. Bach pour le compositeur, 6, pour ses six sonates et partitas, Solo, parce que les partitions sont pour violon seul. Et de fait, le violon et sa violoniste exceptionnelle, Jennifer Koh, pourraient être seuls dans la chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, sans que cela préjudicie à la qualité du spectacle.

Sa technique est irréprochable, sa concentration extrême deux heures durant, entrecoupées d’un entracte d’une demi-heure. Elle est même fascinante à regarder, aussi bien quand elle ferme les yeux, c’est-à-dire la majeure partie du temps, que quand elle ne se déplace avec aisance, légèreté et une grâce naturelle non affectée, y compris dans des mouvements difficiles, vers l’un des huit points du plateau octogonal, bordé d’un rayon de lumière, pour faire face tour à tour à l’ensemble des spectateurs répartis dans cet espace singulier, qui ressemble à une austère prison panoptique.

La violoniste américaine, d’origine coréenne, dans une simple robe noire laissant à peine apercevoir ses pieds nus, offre aux spectateurs un visage qui donne presque l’impression d’un masque au teint légèrement blanchi, lèvres rouge mat et yeux soulignés d’un même trait carmin, et crinière noire jais courte, mais très vivante quand elle ne cesse d’être secouée dans les passages les plus difficiles et véloces.

La partition est redoutable, d’une richesse inouïe et avec des cadences fulgurantes. Elle fut mal appréciée à l’époque de sa composition (vers 1720) par Bach alors établi à Köthen. Les possibilités harmoniques du violon n’avaient jamais été à ce point exploitées et demandent une maîtrise technique exceptionnelle, l’ouïe ayant parfois besoin du secours de la vue pour admettre qu’un seul archet se déplace sur les cordes. L’intégralité de ces six pièces (BWV 1001 – 1006) est d’ailleurs rarement jouée en concert tant elle est périlleuse (« l’Himalaya des violonistes » selon le bon mot de Enescu) et certains mouvements sont plus joués et connus du grand public que d’autres (en particulier la Chaconne de la Partita n° 2 en ré mineur, BWV 1004), et redoutés par les candidats aux concours.

Chacun ensuite selon sa propre sensibilité et histoire personnelle d’écoute et liste d’interprètes favoris, sera plus ou moins touché par l’interprétation de Jennifer Kuo, parfois presque clinique, voire agressive (par exemple l’attaque de la Chaconne), mais sa prestation est en tout état de cause éblouissante.

On ne peut malheureusement pas dire que l’accompagnement chorégraphique suscite le même enthousiasme. Les quatre danseurs grecs imposent une lente et interminable procession dans des costumes blancs peu flatteurs. Le maniement de longues baguettes de bois dans la première partie ne fonctionne pas, paraît emprunté, artificiel. Les visages impassibles des danseurs aux allures de statues grecques, tout comme la chorégraphie qui est à l’opposé de la virtuosité musicale déroute. Et l’absence totale d’interaction avec la musicienne est difficilement compréhensible. Deux propositions juxtaposées qui dans le mouvement entrent en dissonance en dépit de l’impression que suscite l’esthétisation des instantanés photographiques. Si le décalage semble délibéré, la chorégraphe estimant qu’il fallait trouver une proposition permettant de faire mieux entendre Bach et Koh sans avoir à fermer les yeux, c’est ce que nombre de spectateurs se sont pourtant résolus à faire à plusieurs reprises.

La chorégraphe aurait dû se contenter de sa propre prestation personnelle, consistant en la traversée du plateau dans une robe blanche à traîne, tel un spectre revenant de l’au-delà (portant sur son épaule gauche une corde interminable) qui se rappelle à nous et disparaît par la porte d’entrée de la chapelle par laquelle les spectateurs sortent une demi-heure plus tard. Quelques minutes magistrales. Ce seul croisement fugace entre les deux artistes aurait été d’une autre puissance que la chorégraphie qui la précède et lui succède, sans intérêt et fort ennuyeuse. Quel dommage. Tout était réuni pour faire de ce spectacle d’ouverture de la cinquantième édition du Festival d’Automne à Paris un moment inoubliable, qui ne sera qu’une rencontre de plus entre Robert Wilson, Lucinda Childs et Jennifer Koh, trois géants du spectacle vivant qui avaient pourtant magnifiquement collaboré dans le phénoménal Einstein on the Beach de Philip Glass.

 

© Lucie Jansch

 

 

Bach 6 Solo, Conception Robert Wilson et Jennifer Koh

Musique : Johann Sebastian Bach

Mise en scène, décors et lumières : Robert Wilson

Chorégraphie : Lucinda Childs

Dramaturgie : Konrad Kuhn

Costumes : Carlos Soto

Collaboration à la mise en scène : Fani Sarantari

Collaboration à la scénographie : Annick Lavallée-Benny

Collaboration aux lumières : John Torres

Création maquillage : Sylvie Cailler

Assistant aux costumes : Emeric Le Bourhis

Avec : Jennifer Koh, Alexis Foussekis, Ioannis Michos, Evangelia Randou, Kalliopi Simou, Lucinda Childs

 

Durée 2 h 30 (avec entracte de 30 mn)

Jusqu’au 16 septembre à 20 h

Première mondiale à la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière le 3 septembre 2021.

 

 

Théâtre de la Ville (Festival d’Automne)

Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière

Hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Boulevard de l’Hôpital – Paris

www.theatredelaville.fr

www.festival-automne.com

 

 

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