À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Avant la terreur, librement inspiré de Shakespeare, mise en scène de Vincent Macaigne Théâtre des Célestins, Lyon

Avant la terreur, librement inspiré de Shakespeare, mise en scène de Vincent Macaigne Théâtre des Célestins, Lyon

Mai 20, 2024 | Commentaires fermés sur Avant la terreur, librement inspiré de Shakespeare, mise en scène de Vincent Macaigne Théâtre des Célestins, Lyon

 

© Simon Gosselin

 

ƒ article de Paul Vermersch

Avant la terreur, une réinterprétation de Richard III par Vincent Macaigne : un spectacle de trois heures pendant lequel le public redécouvre l’histoire du tyran, retraverse le complot, les assassinats et les excès de cette figure monstrueuse du théâtre élisabéthain, à l’aune de la situation actuelle de notre monde moderne. Une forme un peu compliquée à penser parce qu’assez ambiguë : d’un côté, les efforts déployés pour réactualiser la figure de Richard III dans ce qu’elle a de monstrueux, d’extrême, suscitent une sorte d’admiration, de fascination. De l’autre, la sensation que la forme se perd dans toute cette violence, et finit se termine dans des idées un peu vagues, prises dans une outrance qui plafonne, tend à faire système.

Dans une sorte de collage, le spectacle vient retracer les grandes lignes de la pièce de Shakespeare, en s’attachant à tout extrémiser et à montrer sur le plateau – de manière plus ou moins volontaire d’ailleurs – la violence qui traverse la pièce. La forme passe d’une théâtralité à l’autre, d’une esthétique à l’autre, avec beaucoup de fluidité et vient finalement dessiner un spectacle complexe qui agît sur plusieurs plans : on retraverse des scènes shakespeariennes où la langue est réactualisée, où l’on est surpris de découvrir combien les figures de la fable se retranscrivent très bien à notre époque (elles existent d’ailleurs sûrement), on passe parfois dans une modalité d’énonciation qui devient plutôt celle de la frontalité, avec des moments meetings politiques, ou des faces public au micro qui viennent rappeler davantage le stand-up, d’autres moments encore viennent faire participer le public, etc. On a aussi accès aux coulisses par de la vidéo live, et si on commence à lister les effets c’est projection, fumée, coups de feu, faux-sang, énorme poche de liquide percée sur scène, stroboscopes, scénographie à plusieurs niveaux, prothèses, etc. En somme, pour parler de la monstruosité, la forme finit elle-même par ressembler à un monstre, un peu difforme, toujours attaché à alimenter la violence qui advient au plateau, la rendre visible, concrète (réelle ?).

Ce qui est à noter par rapport à cette violence, et ce qui la rend aussi part audible quelque, c’est qu’elle existe souvent à l’endroit du grotesque : après avoir exterminé tout le monde, après avoir essayé de convaincre le public d’adhérer à ses idées fascistes, une fois que le plateau, devenu nu et industriel, est recouvert de faux sang, d’excréments, Richard III et son acolyte se retrouvent seuls et évoquent l’idée de partir aux Bahamas pour aller plonger avec les petits dauphins (on nous montre alors une photo de petits dauphins). La violence vient ainsi se placer à cet endroit toujours trouble, ni vraiment complètement crédible et assumée, ni complètement comique non plus, une sorte d’entre-deux sidérant et absurde, qui peut soit être entendu comme une proposition tiède et qui ne tranche pas, soit, et c’est plutôt cet endroit que le spectacle semble défendre, une sorte de très grande capitulation face au monde, face à son absurdité qui ne vient générer que des monstres, un relativisme écrasant.

C’est peut-être finalement ce qui vient décevoir dans le spectacle : ce relativisme. Richard III devient un psychopathe dans une société nécessairement vouée à l’échec, complètement corrompue. Par la vidéo on nous montre d’ailleurs l’origine du mal : les accidents de voiture, la guerre, la bombe atomique, Hitler, les chatons, la pornographie, les tatouages, le Covid, l’intelligence artificielle… Difficile de saisir vraiment quelle est la nature de ce mal tellement global, tellement générique, et comment il vient concrètement affecter, construire la figure monstrueuse d’un personnage qui finit par être relégué au rôle de Joker, un marginal, une parenthèse. Une vision catastrophiste qui s’exprime comme un cri, un cri d’ailleurs marqué à la matière fécale sur l’un des murs : à l’aide. Difficile aussi de comprendre le propos sous-terrain du spectacle. Est-ce qu’on vient dénoncer ? Et si oui, que vient-on dénoncer avec un discours si général ? Si c’est à l’endroit de la caricature qu’on se place, la caricature de quoi ? Que peut-on raconter dans cette outrance ? C’est au public de décider, alors que la forme génère tellement d’effets, le point de vue manque. En somme, le public a du mal à déchiffrer la violence produite, elle est gratuite, ou plutôt, elle est volontaire, démonstrative. Finalement, on perçoit l’intention de violenter le public plus que l’on ne l’est vraiment.

Une anecdote pour finir et conclure. En sortant un homme dit ceci : « C’est facile de faire ça avec autant d’argent. » S’il semble évident que cette forme n’a rien de facile dans sa réalisation assez virtuose, peut-être que ce relativisme autour duquel elle se construit et dont elle ne se défait pas apparaît finalement, en effet, comme assez facile. ­­­­­­­­

 

 

© Simon Gosselin

 

Avant la terreur, d’après Shakespeare et autres textes

Écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique : Vincent Macaigne

Avec Sharif Andoura, Max Baissette de Malglaive, Candice Bouchet, Thibault Lacroix, Clara Lama Schmit, Pauline Lorillard, Pascal Rénéric, Sofia Teillet, et, en alternance, Camille Ametis, Clémentine Boucher, Lilwen Bourse

Assistanat à la mise en scène : Clara Lama Schmit

Lumières : Kelig Le Bars

Accessoires et régie générale adjointe : Lucie Basclet

Conception vidéo : Noé Mercklé-Detrez, Typhaine Steiner

Conception son : Sylvain Jacques, Loïc Le Roux

Costumes : Camille Aït Allouache

Régie générale : François Aubry dit « Moustache », Sébastien Mathé

Collaboration scénographique : Carlo Biggioggero, Sébastien Mathé

Assistance création et régie lumières : Edith Biscaro

Régie accessoires : Manuia Faucon

Régie plateau : Tanguy Louesdon

Régie vidéo : Laurent Radanovic, Stéphane Rimasauskas

Stagiaires à la mise en scène : Noémie Guille, Nathanaël Ruetschman

Stagiaire aux accessoires : Anna Letiembre-Baës

 

Durée : 3 heures

Du 21 au 23 mai 2024, 19h30

 

 

Théâtre des Célestins

4 rue Charles Dullin

69002 Lyon

T. 04 72 77 40 00

www.theatredescelestins.com

 

Be Sociable, Share!

comment closed