© Emmanuel Valette
ƒƒƒ article de Paul Vermersch
Le plaisir est très grand de plonger dans le texte de Patricia Allio en découvrant la forme particulièrement humble et sincère qui accompagne cette lecture. La simplicité du dispositif, les incursions ajoutées live au texte, fruits du parcours toujours mouvant de l’autrice, viennent rendre compte d’une recherche toujours au travail, une recherche qui avance en brassant plusieurs plans, la petite et la grande Histoire, l’intime et le politique, l’amour et le manque.
Spectaculairement intime
La scène est recouverte d’un sol blanc, entourée d’écrans d’abords éteints, juste l’essentiel. Ce n’est pas la boîte noire c’est la boîte blanche, encore plus simple presque, et puis au centre un pupitre et derrière un ordinateur. Le plateau, presque nu, a l’air d’être là pour accueillir la parole de l’autrice qui va elle-même lire le texte, rien d’autre.
Le spectacle s’ouvre sur ce tableau : le plateau vide, Patricia Allio hors-champ, et dans les enceintes de la salle, la diffusion d’une note vocale, enregistrée sur téléphone, dans laquelle on entend un échange entre l’autrice et sa grand-mère. Tout de suite l’effet de réel opère très fort : la conversation, faussement insipide, tâtonne. Les frottements du téléphone contre le manteau ou les cris de canards sauvages au loin, nous transportent immédiatement avec elles, on assiste pleinement sans y être à un moment d’intimité très cru où tout ressort : la vieillesse de la grand-mère et le besoin de la petite fille de venir figer, capter des instants de vie qu’on sent menacés par la mort.
Entre ces moments diffusés, Patricia Allio, très simple, vient délivrer le texte face public, sans effet, et c’est la langue qui nous porte dans le récit. Un récit qui travaille toujours à plusieurs endroits, qui nous donne à voir cette grand-mère bretonne, sa pauvreté, sa région, son rapport à la politique, sa fin de vie précipitée par les soignants. Et finalement, ce portrait précis et généreux, qui vient par ces fragments de vie révélés, rendre compte de l’état présent ou passé d’une certaine France, se transforme lentement en autoportrait, et c’est finalement l’engagement politique de l’autrice, la tendresse qu’elle porte à sa grand-mère, son propre rapport à ses origines bretonnes qui finissent par transparaître.
Le choix du dispositif, celui de la conférence, effraie d’abord un peu, on a peur de cette frontalité, de la dimension explicative, du PowerPoint des talkshows TED. Mais bizarrement ce n’est pas du tout ce qui se déploie, rien dans la manière de dire, de lire, qui vienne s’inscrire dans cette modalité de parole très professorale, au contraire, Patricia Allio avance dans cette forme presque à reculons, désengagée même parfois, elle fait tomber les mots avec une simplicité qui déconcerte et qui ne peut que nous faire entrer de plein fouet dans le récit. Elle lit : elle l’assume et c’est parfaitement sincère. Très vite on découvre en fait que la lecture est une fausse lecture, du moins qu’il n’y a pas que des moments lus, au besoin, la performeuse sort de son récit, vient rajouter une anecdote arrivée il y a peu dont elle a besoin pour étayer ce qu’elle dit, des moments qui restent formels, des petits décrochages vivants qui ne viennent qu’alimenter ce qui doit se dire, ce qui se cherche par cette parole offerte.
Ce qui bouleverse c’est évidemment cette authenticité, cet entremêlement entre l’écriture et les documents, mais aussi les efforts faits pour s’en éloigner, prendre de la distance face à cette vie très réelle et très dure, faire tomber ces expériences dans l’analyse sociologique, historique, philosophique, qui séduit surtout car on sent que c’est aussi une voie choisie pour accompagner le deuil.
© Emmanuel Valette
Autoportrait à ma grand-mère, de et par Patricia Allio
Lumière et collaboration scénographique : Emmanuel Valette
Du 3 au 13 octobre 2024 à 20h30
Le dimanche à 16h30
Durée: 1h30
Théâtre des Célestins
4, rue Charles Dullin
69002 Lyon
Réservation : 04 72 77 40 00
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