À l'affiche, Critiques // Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne on entendit un hurlement), une pièce de Pina Bausch, Théâtre du Châtelet

Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne on entendit un hurlement), une pièce de Pina Bausch, Théâtre du Châtelet

Mai 22, 2016 | Commentaires fermés sur Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne on entendit un hurlement), une pièce de Pina Bausch, Théâtre du Châtelet

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

lahola-twpb-gebirge-2016-auswahl-a-12-copie

© Lahola TWPB Gebirge 2016 Auswahl

« Parlez moi d’Amour… » Amère et cruelle ironie. C’est une création rongée par la peur et l’inquiétude. Mais qu’avait donc vu et pressenti Pina Bausch pour, dès 1984, dénoncer la violence de notre humanité, la cruauté de nos relations, dont les femmes sont les premières victimes ? C’est une création d’une brutalité inouïe. Est-ce que les hommes ont si peu changé au regard de ce que nous vivons aujourd’hui pour constater trente ans plus tard l’acuité de la chorégraphe, son pressentiment, sa lucidité ? Sur ce plateau où s’embourbent et piétinent les danseurs, une boue qui colle aux robes et aux âmes, brunit les chemises blanches, c’est une cavalcade, une fuite en avant. Ça commence par ça, une fuite où des danseurs effrayés, affolés n’ont de cesse de quitter le plateau, qu’ils refusent de traverser, pour peut-être reculer l’inévitable de la représentation à venir, la douleur de représenter un monde à vif. La peur est là, présente, incarnée par cet étrange personnage qui ouvre la boïte de Pandore qu’est devenu le plateau. Un ogre en maillot de bain rouge, un monstre de cauchemar au visage écrabouillé qui décide du destin de chacun. Les mène avec un flegme glacial aux confins de leur peur. Et frappe. Il n’y a pas d’issue, d’échappatoires dans cette création au bord de la folie. L’innocence parfois, le rire aussi, traverse fugitivement, la représentation. Le réalisme le dispute magnifiquement à l’absurde comme toujours avec Pina Baush, mais la chute mord davantage et laisse de vilaines traces. La poésie, il y en a, il y en a toujours, ne résiste pas à la brutalité des situations. Mais les sarabandes joyeuses, éclatantes de bonheur, ont cédé devant les courses heurtées, où les corps, empesés de boue, se fuient que l’on tente vainement de réunir par la force. Le rideau tombe et se relève mais ne réussit jamais à masquer l’horreur et la peur qui suintent. Pourtant il n’y a jamais rien de délibérément provocant. Ce sont des gestes tout simples, parfois furtifs, que sourd l’angoisse et la violence. Une ambiguïté dans les intentions. Un baiser qui se refuse, un dos soumis qui se penche et que l’on marbre de rouge, un rouge à lèvre qui vous scarifie. On ne peut oublier les larmes de Ditta Miranda Jasjfi, les cheveux soudain blanchis. Ce sont ces larmes-là qui signent la représentation. Les larmes d’impuissance des femmes soumises à la violence des hommes. Femmes louves qui hurlent à la lune leur condition et que l’on gifle sèchement. Et qui rêvent de naviguer loin de tout ça. Des violences, du viol, des mariages arrangés, des flagellations, de la soumission… La représentation s’achève sans note d’espoir, comme elle débuta. Non, on ne sort pas indemne de cette représentation, éreintés même. On emporte avec nous un peu de cette boue qui nous colle encore longtemps après. « Parlez moi d’amour » !

 

Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne on entendit un hurlement)
Mise en scène et chorégraphie Pina Baush
Décors Peter Pabst
Costumes Marion Cito
Collaboration Hans Pop
Collaboration musicale Matthias Burkert
Dramaturgie Raimund Hogue

avec les danseurs du Tanztheater de Wuppertal : Emma Barrowman, Rainer Behr, Andrey Berezin, Michael Carter, Cagdas Ermis, Jonathan Fredrickson, Ditta Miranda Jasjfi, Scott Jennings, Nayoung Kim, Dominique Mercy, Bianca Noguerol Ramirez, Breanna O’Mara, Nazareth Panadero, Jean-Laurent Sasportes, FranKo Schmidt, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Julian Stierle, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Tsai-Wei Tien, Paul White, Simon Wolant, Ophelia Young, Tsai-Chin Yu

Du 20 au 26 mai 2016 à 20h

Théâtre du Chatelet
1, place du Chatelet – 75001 Paris
réservation 01 40 28 28 40
www.chatelet-theatre.com

Be Sociable, Share!

comment closed