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Au temps où les arabes dansaient… Chorégraphie de Radouhane El Meddeb, Centre Georges Pompidou

Mai 17, 2016 | Commentaires fermés sur Au temps où les arabes dansaient… Chorégraphie de Radouhane El Meddeb, Centre Georges Pompidou

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Agathe Poupeney/Photo Scène

Voilà une création qui vous empoigne d’emblée et ne vous lâche plus. Quatre hommes dansent jusqu’à la transe et ce qu’ils expriment c’est la nostalgie de ce qui disparaît, de ce qui n’est déjà plus, cette liberté des années 40 à 60 dans les pays du Maghreb. Ils sont les fantômes poignants d’une culture qui se meurt sous les coups de boutoirs des intégrismes religieux et des dictatures. Ils sont l’avenir avorté d’un printemps arabe étouffé. Au temps où les arabes dansaient c’est un coup de poing qui fait mal, vous coupe le souffle. Une création éminemment politique sublimée par la danse du ventre, danse traditionnelle des femmes, que ces quatre là, exceptionnels d’expressivité, s’approprient comme un manifeste. Ce qui émane de ces bassins, de ces ventres, c’est la sensualité, la sexualité, la frustration, la faim, la force et la violence. Ce ne sont plus des hommes qui dansent mais un peuple tout entier en révolte. Au delà du genre, question que pose également cette chorégraphie audacieuse, ces ventres sont affamés de liberté. Ils sont le nombril d’un monde en colère. Cette danse du ventre c’est plus qu’une danse du ventre. C’est un état d’être au monde. Ces bassins qui se meuvent au delà de tous clichés orientalistes c’est aussi l’expression d’une tragédie contemporaine. Radhouane El Meddeb le chorégraphe, tunisien, ne cache pas son amour des films égyptiens des années 40 à 60, de ces stars féminines, chanteuses et danseuses, dont l’emblématique et populaire Samiaa Gamal, qui étaient aussi l’expression et l’affirmation d’une volonté de modernité. C’est une création nostalgique évidente et un hommage éclatant à ces femmes libres. Et il suffit d’une seule image, brève et fulgurante, pour comprendre la violence faite aux femmes aujourd’hui. Un voile qui souligne la sensualité du bassin qui ondule devient hijab puis brutalement niqab. La chorégraphie de Radhouane El Meddeb a cette qualité de ne jamais s’appesantir et de jouer des contrastes entre une danse festive, celle des mariages, des enterrements, du quotidien, et l’expression d’un tragique contemporain où les corps, sexes confondus, sont désormais menacés, traqués jusque dans leur intimité. Et c’est bouleversant. Cette nostalgie affichée n’existe qu’en regard d’une histoire contemporaine bouleversée. Mais que les quatre danseurs dansent soudain en ligne, le bassin en avant soudain menaçant et c’est le printemps tunisien, les premières manifestations d’un peuple contre le pouvoir. C’est toute la force de cette création de tresser à la fois le passé et le présent, l’intime et le public, le privé et le politique. C’est tout cela qui est contenu dans le ventre de ces danseurs devenu épicentre d’un monde qui bascule. Radhouanne El Meddeb ne signe pas pour autant une œuvre sombre. A l’image des derniers instants de cette création, ivres de liberté, les corps transfigurés par la danse, une danse libre et généreuse, s’exaltent jusqu’à la transe. C’est tout à coup d’une sensualité et d’une innocence, d’une beauté nue, de celle des instants de bonheur absolu ou plus rien n’existe que cette parenthèse…

Au temps où les arabes dansaient
chorégraphie de Radhouane El Meddeb
Collaborateur artistique, Moustapha Ziane
Parformance: Younes Aboulakoul, Rémi Leblanc-Messager, Philippe Lebhar, Athur Pérole
Lumières, Xavier Lazarini
Scénographie, Annie Tolleter
Son, Stéphane Gombert
Vidéo, Cecile Perraut en collaboration avec Feriel ben Mahmoud
Régie Générale, Bruno Moinard

Centre georges Pompidou
Place Geoges Pompidou
75004 Paris
du 12 au 14 mai 2016 à 20h30
réservation 01 44 78 12 33
www.centrepompidou.fr:spectacles

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