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« Au secours ! Les mots m’ont mangé » lecture spectacle de Bernard Pivot, au Théâtre du Rond-point

Mai 22, 2015 | Commentaires fermés sur « Au secours ! Les mots m’ont mangé » lecture spectacle de Bernard Pivot, au Théâtre du Rond-point

article d’Anna Grahm
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© Giovanni Cittadini Cesi

Sa passion pour les mots il en fait son métier. Vent debout devant son pupitre transparent, Bernard Pivot remonte le temps. Repasse au tamis l’enfance, jongle avec les si. S’il avait pu parler dès la sortie du ventre de sa mère, s’il avait pu s’emparer des phrases enregistrées dans le liquide amniotique. Mais s’il avait parlé trop tôt, n’aurait-il pas pris le risque, plus tard, de n’avoir plus rien à dire? Il passe sur les perles enfantines, glisse sur les tentatives d’un langage qui n’a pas été encore formaté et qui, loin des règles policées, peut encore s’inventer.
L’infatigable critique littéraire aurait rêvé d’être ce petit homme qui jacte et incarne son rêve désormais. Lecteur raconteur pressé qui reprend à peine son souffle, il saupoudre la salle de souvenirs bien à lui. Parle de son cher ami Petit Larousse avec qui il jouait sur les mots. Il les voyait dociles, tous bien rangés à la suite des uns des autres, il les trouvait discrets. Mais c’était une autre époque, bien avant le succès médiatique, quand la vie avait besoin des mots plus que d’images.
Certains étaient pour lui des promesses d’émancipation, majorité, liberté et puis il y avait les gros mots. Il évoque sans creuser, laisse filer sans provoquer, convoque l’énonciation et cela suffit à soulever les pans de la pensée. S’arque boute à ses dictionnaires à son amour des noms propres car ils sont pour lui comme des catalogues de voyage. Le voilà voyageur de lui-même, capitaine de bateaux, il navigue sur une écriture foutraque, a le pied normalien, se coiffe de diplômes et met le cap sur la malice.
Accostant sur les rives des écrivains pédants, il adopte leur langue, se sert des figures de la rhétorique pour donner des surnoms amoureux. Et pour faire plaisir aux femmes de ce pays, il défend la féminisation des mots, admet que le français est décidément bien misogyne. Il semble en convenir sans cynisme. Pour s’intégrer au petit monde des grands écrivains, il abandonne les lieux communs, ne souffre plus les lapalissades, s’oblige à argumenter. Car depuis qu’il s’est mis sous surveillance, il refuse la petite monnaie de la conversation, s’est fabriqué un matelas de réflexions pour calmer les à quoi tu penses de sa femme.
Le jour les mots sont si nombreux qu’il lui faut bien du talent pour les choisir et les assembler.La nuit, les mots deviennent des grenades dégoupillées, des phrases le tirent brutalement du sommeil.
Chaque homme est un monde, lui nourrit le projet ambitieux de modifier l’orthographe du nom de certains animaux afin qu’ils soient davantage en conformité avec leur morphologie. S’accorde un prix Goncourt. Liste les mets de table, les noms des sauces, des fleurs. Ecarte l’emploi des adverbes, se méfie des tics de langage. Et entre les très arobase et les pas connecté, il choisit le camp du progrès. Car l’homme se déclare résolument optimiste. Même s’il se demande s’il doit préparer lui-même son épitaphe.
Alors si Dieu existe, le jugera-t-il sur cette drôle d’histoire en dents de scie, sur ces pointes de vrai et de faux, lui dira-t-il qu’il aurait du rester assis pour concentrer son énergie, que le public aurait préféré plus jouir que ouïr ?
Non. Si Dieu existe, il dirait que la démarche de Bernard Pivot est plus subtile. Il n’a usé d’aucun mot saignant, d’aucune expression brulante, de celle qui tue. Il a eu a cœur de ne blesser personne. Si la faconde de Pivot est féconde, c’est pour mieux laisser à chacun son libre arbitre, c’est-à-dire soit de prendre pour argent comptant tout ce que chante ce drôle d’oiseau, soit de reprendre le contrôle de ce que nous tenons pour acquis, qui doit être sans cesse conquis. Son champ d’exploration questionne notre façon d’être manipulé. Notre assentiment à la domination morale nous renvoie à tout ce qui nous subjugue qu’il faudrait juguler. L’emprise qu’il exerce est un jeu et l’auditoire n’est pas dupe. Mais qu’en est-il de toutes les autres séductions que l’on subit sans toujours s’en défendre, de toutes les autres stratégies que l’on adopte sans le moindre sens critique ? L’homme de plateau qui œuvrait à aiguiser la curiosité des spectateurs manque à la télévision mais continue à bouillonner, à apostropher et à ouvrir les esprits.

Au secours ! Les mots m’ont mangé
Lecture spectacle de Bernard Pivot

Du 19 au 23 mai à 18h30

Théâtre du Rond-point
Salle Jean Tardieu
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris

réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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