Article d’Anna Grahm
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C’est un univers clôt. Chaotique et tourmenté. Susceptible à tout moment d’imploser. C’est une tragédie. Une enfance en rupture. Sans père, ni repère. C’est un petit garçon incompris. Un étourdi. Un bizarre condamné à l’isolement. Prof, proches, tout le monde le rejette. Il oublie tout, perd ses lunettes, trace des traits pas droits, joue avec un bout de bois, le prend pour son frère, parle aux morts. C’est une boule à facettes qui capture les ombres. Qui accroche des chimères.
Il y a comme un air de déjà entendu dans ce spectacle. Mais il y a aussi du rythme, de l’invention, du chahut. Cela va de la comptine à l’épaississement du brouillard. C’est musical, torturé, halluciné et il faut accepter de se perdre pour traverser jusqu’au bout ce champ de l’hors-norme.
L’écriture de Lazare ressemble à un fleuve sorti de son lit. Elle arrive par vague, déborde de façon imprévisible pour inonder les terres de la langue commune. Flottent des paquets de douleurs, des jeunes pousses qui transgressent la légalité, bousculent l’autorité. Mais la scansion de la langue qui se risque au bord de l’abîme, qui charrie les abandons, persécutions et ruptures mentales et sociales fait-elle alchimie. Permet-elle d’être unique et multiple et de se transporter vers autrui.
L’auteur fait de sa vie du théâtre. Tire de son récit, des images surréalistes, des résolutions attendues, des rapprochements sémantiques parfois plus lumineux qu’un éclair dans la nuit.
Sur le plateau, un nuage de craie et sur le tableau, des dessins d’écoliers. Les deux instituteurs assignés à la normalité ressemblent à des marionnettes électrisées. L’histoire de Libellule c’est le regard porté sur la différence, sur ces laissés-pour-compte qui n’ont de la réalité qu’une appréhension onirique.
La dramaturgie choisit de les enfermer dans des carrés de lumière, les isolant ainsi de la marche du monde. Mais cette immersion dans ce no man’s land, laisse le public en dehors, à la surface du ressenti. Et malgré la pulsation du texte, le regard se fatigue de ces figures jouées à gros traits qui s’emploient à la caricature. La proposition trop extérieure a renoncé à entrainer le spectateur dans son errance, et sa démarche démonstrative n’a pas aidé à lui ouvrir les yeux sur l’intimité de ces êtres livrés à eux-mêmes.
Seules les lignes de faille du langage sans cesse triturées, remaniées, remodelées, libèrent l’imaginaire et ouvrent des espaces de poésie fulgurants. Mais ces chassés croisés endiablés vont noyer les poches de sens non questionnés, vont asphyxier l’attention et engloutir toute perspective d’altérité.
Au pied du mur sans porte
Texte et mise en scène Lazare
Assistante à la mise en scène Marion Faure
Collaboration à la scénographie Marguerite Bordal
Avec Anne Baudoux, Axel Bogousslavsky, Julien Lacroix, Mourad Musset, Yohann Pislou, Claire-Monique Scherer
Et les musiciens Guillaume Allardi, Benjamin Colin, Jean-François Pauvros, Frank Williams
Du 7 au 16 avril 2016
Du mardi au samedi à 20h30
et le dimanche 10 et 17 à 15 hThéâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses – 75018 Paris
réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
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