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Attends, attend, attends… (pour mon père), Jan Fabre, au Théâtre de la Bastille

Mar 14, 2016 | Commentaires fermés sur Attends, attend, attends… (pour mon père), Jan Fabre, au Théâtre de la Bastille

ƒ article de Denis Sanglard

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© Wonge Bergmann

De la brume opaque qui envahit le plateau et la salle surgit Charron, vêtu de rouge incandescent. Ce passeur des morts qui vogue sur le styx et mène les hommes aux enfers, c’est Cédric Charron, danseur et performeur pour Jan Fabre. « Attends, attends, attends… » c’est un dialogue entre un père et son fils, une cérémonie funéraire où Cédric Charron, le bien nommé, exhorte son père à la patience, au dialogue, le temps d’apprendre à vivre, à devenir, à être soi.

Dans ce moment suspendu, dans cette attente, cet entre deux de la représentation, Cédric Charron interpelle son père et répond à ses inquiétudes. Au fils de devenir le père, au père d’être l’enfant, celui qui écoute et patiente. Mais la force de Cédric Charron, son vocabulaire, c’est la danse. Alors il danse la liberté de l’interprète, celle de pouvoir tout incarner. « Mon corps sont mes mots » dit-il. Il se métamorphose à vue, chien enragé, insecte dansant, pèlerin clownesque… un éventail de ce qu’il fut pour chaque création, jusqu’à son propre rôle. Le plateau se remplit peu à peu des dépouilles, des peaux mortes du répertoire de Cédric Charron pour Jan Fabre depuis « As long as the world needs a warrior’s soul » (2000). Une cartographie mémorielle, physique, qui fait de chaque rôle interprété, dansé, l’identité profonde de ce performeur exigent et unique, choisi par Jan Fabre non sans raison. Par la danse Cédric Charron semble avoir atteint l’âge d’homme. Et c’est une boule d’énergie soudainement imprévisible, explosive, qui déploie toute son expérience, son vécu artistique, affichant sa différence, la liberté absolue de l’interprète sous la houlette de Jan Fabre auquel il rend hommage également. Jan Fabre comme un second père, celui qui lui appris justement cette patience demandée à tout interprète et qu’à son tour Cédric Charron demande à son père. Le temps pour lui de dire, je suis Cédric Charron, je suis ma danse, fruit de patience, la même demandée à ce père inquiet. Inversion des rôles donc qui voit le fils devenir le père et mener ce dernier aux enfers, ultime métaphore de la nécessité de tuer le père. Parce que la mort c’est aussi l’affaire de tout créateur, dont les représentations sont aussi l’art de naître et mourir. Franchir tel Charron le styx.

Seulement voilà, si la scénographie de Jan Fabre est tout simplement somptueuse de simplicité – rideau de fumée en volutes, qui nappe le plateau et la salle, disparaissant parfois et laissant à nu Cédric Charron et sa danse – le texte laisse franchement dubitatif. Texte verbeux, boursoufflé, abscons, c’est sans doute la grande faiblesse de cette création qui la rend quelque peu boiteuse et qui agace fortement au regard du talent de Cédric Charron. Il faut en faire abstraction, n’en saisir que le contenu plus que la forme. Ne reste qu’une impression, tenace, celle d’un danseur et performeur qui occupe avec furie et passion le plateau et dont la danse brute et la forte présence valent plus et mieux qu’un discours dont il peut ici sans peine, et nous avec, se passer… »Mon corps sont mes mots ». Démonstration éclatante qui se passe de tout discours !

Attends, attends, attends…(pour mon père)
Texte, mise en scène et chorégraphie Jan Fabre
Performance Cédric Charron
Musique Tom Tiest
Dramaturgie Miet Martens
Lumières Jan Fabre et Geert Van der Auwera
Costume Jan fabre et Andrea Kränzlin
Traduction en français Michèle Deghilage

Du 9 au 13 mars 2016 à 20h, le dimanche à 17h

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette – 75011 Paris
réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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