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Article 353 du code pénal, adapté par Emmanuel Noblet à partir du roman de Tanguy Vieil, Théâtre des Célestins, Lyon

Nov 28, 2024 | Commentaires fermés sur Article 353 du code pénal, adapté par Emmanuel Noblet à partir du roman de Tanguy Vieil, Théâtre des Célestins, Lyon

 

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Article de Paul Vermersch

Difficile de rentrer dans cette forme dont les propositions autour de l’adaptation du roman de Tanguy Vieil, Article 353 du code pénal, se court-circuitent et s’annulent les unes les autres.

Au centre du plateau, deux coins d’un rectangle de terre creusée et une chaise. C’est là que va se dérouler l’entièreté de l’action, et une action-parole puisque la tension dramatique du spectacle ne réside que dans le récit que vient déployer Martial Kermer, quinquagénaire breton, employé comme homme à tout faire par la ville de son village. En un peu moins de deux heures, il raconte comment un riche promoteur arrive dans sa commune du Finistère et escroque le village avec un projet immobilier frauduleux. Ce sont toutes les économies de Martial qui sont englouties par le projet, et l’on découvre au fil du récit comment petit à petit l’homme s’est enfoncé dans la misère, la colère, le poussant ultimement à jeter à l’eau ledit promoteur lors d’une balade en mer, ce qui lui vaudra d’être arrêté et mis en examen. C’est d’ailleurs à ce moment-là que nous sommes en fait conviés, puisque cette histoire est tout de même déployée autour d’une situation dramatique : celle de l’interrogatoire de Martial par un juge d’instruction. Ce faux dialogue (qui n’est qu’un prétexte au déploiement du récit), vient très sagement retraverser la vie de cet homme avant de finir par une happy-end étrangement artificielle : le juge convaincu (ou ayant pitié ?) par l’histoire de Martial, finit par trancher que la mort du promoteur immobilier était un accident, et l’absout.

L’adaptation du roman semble avoir posé des problèmes que la mise en scène n’a pas résolus, et qui font écran tout du long du spectacle. Le premier étant celui de l’adresse : le roman est un long monologue qui, parce que justement c’est un roman, se dispense de l’exigence de répondre à la question de l’adresse dramatique. Mais dans ce semblant de situation, Martial s’adresse à la fois au juge et au public avec un jeu clairement orienté face à la salle, rendant le dispositif inutile. Si c’est le face-public qui est assumé pourquoi s’encombrer d’un juge et d’une pseudo situation qui gêne le déploiement de la langue et empêche de rentrer dans ce que semble amener la proposition textuelle : une plongée mentale. On sent ici la volonté d’une mise en scène qui cherche à réinstaurer de la théâtralité à travers une adresse factice qui ne joue pas. Aucune des interactions entre les deux personnages ne vient engendrer, bousculer ou faire dévier le récit qui s’autoalimente très bien tout seul et fonctionne parfaitement sans ce surplus de théâtralité.

De même la question du naturalisme et de la concrétude du jeu ne semble pas tout à fait tranchée non plus : la langue déployée est d’une nature hybride, présentant à la fois des aspects ancrés dans le réel, dans une énonciation très quotidienne, et des envolées poétiques plus imagées qui paraissent être écrites à un endroit sensiblement différent. Or, au plateau, tout est traité par ce jeu très quotidien, qui tend à vérifier la situation d’une homme qui parle à un juge, mais à infirmer ce que l’on entend réellement c’est-à-dire une langue complexe dont les variations ne sont pas prises en charges et écrasées par un jeu uniforme, bluffant par ailleurs d’ingéniosité et de justesse, mais qui se défait de cette contrainte de la langue et vient résoudre l’interprétation à un endroit naturaliste qui n’est pas celui que l’on entend dans le texte.

Finir par dire aussi le manque d’échappée du spectacle, qui vient présenter cette figure d’homme pris dans une fatalité qui est celle de son milieu social mais surtout celle de son genre, un homme prisonnier de son propre égo masculin sans qu’aucune réflexivité ne nous permette d’échapper à un récit premier degré, qui finit par dessiner une figure de l’apitoiement, de la plainte, qu’on fait gonfler avec des effets visuels un rien spectaculaires et une bande son pleine de violons. La forme n’aura pas résisté à la tentation de venir expliquer au public la vie de cet homme, et, en réalité, la vie tout court, avec des réflexions sur la parentalité, l’amour, l’argent, le pouvoir, vies pleines de poncifs, qui, traitées dans ce premier degré absolu ne finissent que par réactiver tous un tas de lieux communs.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Article 353 du code Pénal, d’Emmanuel Noblet

Avec Vincent Garanger et Emmanuel Noblet

D’après un roman de Tanguy Vieil

Lumière : Vyara Stefanova

Musique : Sébastien Trouvé

Scénographie : Alain Lagarde

Vidéo : Pierre Martin Oriol

 

Du 20 au 30 novembre 2024

Durée : 1h40

 

Théâtre des Célestins

4 rue Charles Dullin

69002 Lyon

www.theatredescelestins.com

 

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