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Arkhéion #1 à la Maison de la Poésie

Avr 05, 2010 | Aucun commentaire sur Arkhéion #1 à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

La voie des poètes, parcours pour un concert-performance

La voie des poètes est composée par un univers sonore et visuel investissant cinq lieux qui, de l’entrée de la « galerie » (rue St Martin) aux petits espaces voutés du sous-sol de la Maison de la Poésie, s’immisce dans les interstices de la modernité afin de restituer une parole forte et engagée : celle des poètes du XXe siècle.

En résidence à la Maison de la Poésie, Wilfried Wendling, en peintre de son époque, autorise le ready-made dans sa dimension révolutionnaire et novatrice en recourant à une technologie savante qui restitue de manière singulière, la voix des poètes. Sculptant l’insaisissable, l’artiste réalise une partition musicale avec la poésie. Des mots prononcés, projetés sur le mur, collés, attachés, gravés dans un dispositif de l’inattendu, accompagnent littéralement la pensée des artistes du siècle dernier. Les voix surgissent, s’incarnent au rythme des images détournées, en constante évolution comme ce monde bouleversé dont nous parlent les poètes. Les calligrammes d’Apollinaire parcourent le mur sur lequel ils sont projetés pendant que la voix de Blaise Cendrars retentit de nulle part pour faire entendre son point de vue sur l’écriture « […] écrire ce n’est pas vraiment vivre […] ». « J’ai tué le boche » dit Apollinaire, pendant que des images de soldats allant au front s’animent dans une confusion exhalant la douleur et l’infamie de la guerre. Une averse de lettres fait place aux images embuées de Max Jacob dont les contours se dessinent bientôt pour faire entendre son engagement politique dans le communisme. Le visage de Jean Genet apparaît comme dans un songe et sa voix nous confesse son désir de sortir de prison, le malaise social dont il est l’une des victimes et son aspiration à dire « Ecrire, c’est le dernier recours lorsque l’on est chassé de la parole donnée ». Le froissement des feuilles de papier se fait entendre, comme si les pages d’un livre se tournent à mesure que les images s’enchaînent dans un tumulte sonore pouvant paraître confus, car les espaces sont proches, et pourtant ils se répondent dans un ensemble d’une parfaite cohérence. Le visage des poètes du siècle dernier surgit dans une superposition de l’indicible, de l’intime et du manifeste. Le document d’archive prend forme lorsque Wilfried Wendling s’en empare pour restituer les fruits de sa collecte dans une sonorité inhabituelle et saisissante de vérité. L’indicible devient identifiable dès lors que d’autres sources, sonores ou visuelles, se mêlent à l’ensemble de la composition qui s’offre au spectateur comme une confession contenue dans les espaces voutés de la Maison de la Poésie qui poursuit son engagement politique en accueillant cette performance remarquable.

Un projet protéiforme

Wilfried Wendling réalise un parcours multimédia se construisant autour d’archives visuelles et sonores. Investissant les sous-sols de la Maison de la Poésie, il explore la poésie engagée au XXe siècle, d’Apollinaire à Perec, de Maïakovski à Pasolini en faisant résonner les voix des poètes qui relèvent du témoignage, de la révolte, de la résistance et du combat. Les voix et les images, surgissent des murs grâce à une dizaine de vidéo-projecteurs et une trentaine de haut-parleurs, qui occupent les cinq salles que les spectateurs découvrent tout au long du parcours proposé. Les thèmes abordés sont le fruit d’une réflexion qui met en regard poésie, politique et engagement avec le souci de définir ce qui relève du politique dans une oeuvre poétique. L’histoire, évoquée par Ronsard, Chénier, Villon, Hugo…, la guerre par Apollinaire, Cendrars, Michaux, Char…, le communisme par Aragon, Jacob, Eluard…, la négritude par Senghor, Césaire, Laleau, Diop…, la société par Michaux, Perec, Desnos, Tardieu… sont des sujets qui permettent de soulever un véritable questionnement à propos de ce qui relève du politique dans une oeuvre poétique sans tomber de manière inéluctable dans le « tout est politique ».

Le parcours est dense et chaque jour différent. Certains auteurs apparaissent, disparaissent ou sont mis en regard de façon différente en fonction des « performeurs » et de l’évolution du projet. Car la déambulation politico/poétique, proposée par Wilfried Wendling, s’achève dans une salle dédiée à l’engagement expérimental. Des « performeurs », acteur, chanteur, danseur ou instrumentiste, se livrent à une exploration vocale privée de mots. Ainsi, Natacha Musléra, Elie Hay, Joachim Montessuis et bien d’autres, proposent une intervention sonore en utilisant la voix comme processus sonore. Alors que l’archive pourrait sembler figée dans les structures qui la conserve, Wilfried Wendling lui donne la parole dans une démarche résolument contemporaine.

En résidence durant trois ans à la Maison de la Poésie, Wilfried Wendling s’engage dans un processus artistique en lien avec une institution de la mémoire, l’INA, pour réaliser une interface technologique contemporaine qui, à la fin du projet, sera un lieu permanent de mémoire. Arkhéion I, Arkhéion II, Arkhéion III se déclinent en un triptyque qui travaille le continent du son, de la poésie et de la musique, années après années. Un projet étonnant qui suscite la curiosité, le débat, et questionne bien au-delà de l’aspect formel de la performance. Une tâche exemplaire pour laquelle W. Wendling « restitue dans son travail la voix des poètes disparus et les instruments qui ont capté ces voix ». Claude Guerre.

Arkhéion #1
La voie des poètes
Conception et musique : Wilfried Wendling, artiste en résidence à la Maison de la Poésie
Performeurs en alternance : Hélène Breschand, Eric Cordier, Denis Lavant, Evdokja Danajloska, Elie Hay, Joachim Montessuis, Natacha Musléra, Valérie Philippin, Médéric Colignon
Vidéo : Marc Plas, Anne Delrieu, Cyrille Henry et François-Eudes Chanfrault
Développement informatique : Cyrille Henry et François-Eudes Chanfrault
Régie générale et réseaux : Zac Camoun
Documentalistes : Brigitte Dieu, Catherine Louis

Du 31 mars au 25 avril 2010

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-Martin, 75003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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