À l'affiche, Critiques // « Antigone » de Sophocle, mise en scène Ivo Van Hove, dans le cadre du Tandem Paris-London 2015, Théâtre de la Ville

« Antigone » de Sophocle, mise en scène Ivo Van Hove, dans le cadre du Tandem Paris-London 2015, Théâtre de la Ville

Avr 24, 2015 | Commentaires fermés sur « Antigone » de Sophocle, mise en scène Ivo Van Hove, dans le cadre du Tandem Paris-London 2015, Théâtre de la Ville

ƒƒƒ article de Camille Hazard

antigone-juliette-binoche-dissone-dans-une-partition-impeccable,M215577© Jan Versweyveld

« Je suis désormais le trône et le pouvoir »

Antigone, dernière fille d’Œdipe, dernière fille d’une lignée royale et maudite des Dieux, préfère la mort à l’obéissance réclamée par son oncle Créon, nouveau roi de Thèbes qui refuse d’enterrer Polynice, l’un des deux frères d’Antigone, mort au combat.

Mais celle-ci ensevelit son frère selon les rites, et les Lois de la Cité n’y changeront rien…

Juliette Binoche est cette Antigone

Ivo Van Hove ne s’est pas trompé car la comédienne, à travers sa maturité, incarne toutes les Antigones ; grandes sœurs des figures résistantes, porte parole des femmes désobéissantes, luttant contre une société, un pouvoir et risquant leur vie.

La mise en scène oscille entre propositions scéniques délicates et propos marquants sur les dérives des hommes de pouvoir aveugles, qui ne jurent que par une loi générale, abstraite, théorique sans se soucier un instant de l’individu. L’obsession maladive d’obéir à un dogme aux dépens de la mesure, de la joie et du vivant.

Si Créon incarne la raison sans cœur, Antigone a le cœur qui bat plus fort que la raison et que la Loi. Ces deux visions du monde s’affrontent sans jamais se parler réellement.

L’œil était dans la tombe et regardait Thèbes

Le monde antique de Thèbes, Zeus et les oracles côtoient les « cols blancs » du pouvoir moderne et les villes grouillantes d’agitation en 2015.

Sur un plateau nu, habité seulement à l’avant-scène de meubles de salon ultra design, noirs laqués, les personnages évoluent dans une grande solitude. Derrière eux, le mur du fond de scène, évocateur, magnifique, renvoie des images vidéo de désert, de silhouettes d’hommes contemporains avançant vers nous au ralenti. Ces vidéos qui ne sont pas sans rappeler celles de l’artiste plasticien Bill Viola, amènent une sensation de vertige ; celle des hommes modernes courant à leur perte, et nous spectateurs, notre vie, notre fin. Un cercle lumineux, se déployant comme un judas sur une porte, transperce ce même mur du fond et laisse échapper une foule d’évocations aussi poétiques que terribles ; L’œil des Dieux qui regarde s’agiter le monde des hommes, un trou béant dans lequel nous tombons inexorablement, le soleil qui met en lumière cette tragédie puis se couche lorsque les morts ont gagné les ténèbres, un espace-temps ouvert et dans lequel l’antiquité et le XXIème siècle dialoguent, enfin, un passage magique qui nous relie tous, nous et notre temps qui n’avons pas encore compris…

La traduction accompagne parfaitement cette volonté de relais entre monde antique et le monde moderne. Ainsi Zeus partage la même phrase que le mot gangster.

Je suis la dernière d’une lignée de rois.

La piété est omniprésente dans la mise en scène.

Antigone parle d’ailleurs à la fin de piété absolue. La scène poignante dans laquelle elle lave et ensevelit son frère, porte les stigmates de la descente de la croix de Jésus, par sa mère ; pendant que l’encens envahit l’espace.

Les Dieux sont parmi nous…

Le jeu des comédiens est à la hauteur de l’ambition d’Ivo Van Hove. Patrick O’Kane (Créon) contient en lui le cynisme de l’homme moderne ; figure machiste, épaisse dictatoriale et monstrueuse. Juliette Binoche, vêtue de noir, incarne une Antigone chargée dès le début du spectacle, du poids de la malédiction sur sa famille. Elle n’évolue pas, elle persiste et signe, son obstination et sa grandeur se gravent en nous comme un coup de marteau.

La dernière image ouvre la tragédie sur notre époque et poursuit l’idée de relais. Pendant la mort de Créon, des hommes enregistrent ses dernières paroles, ses regrets, sa compréhension trop tardive, sa sagesse. Traces écrites pour traverser les siècles et parvenir jusqu’à nous… Nous voici prévenus.

La tragédie s’achève sur Heroine des Velvet Underground.

Ivo Van Hove, metteur en scène et oracle, honore la tragédie de Sophocle avec la simplicité des plus grands.

Antigone
De Sophocle
Mise en scène Ivo Van Hove
Traduction Anne Carson
Décors et lumières Jan Versweyeseld
Costumes An d’Huys
Vidéo Tal Yarden
Dramaturgie Peter Van Kraaij
Assistants mise en scène Jeff James, Thierry Mousset
Assistant décor Ramon Huijbrechts, James Turner
Assistant lumières Richard Beaton

Avec Juliette Binoche, Obi Abili, Kirsty Bushell, Samuel Edward-Cook
Finbar Lynch, Patrick O’Kane, Kathryn Pogson

Du 22 avril au 14 mai 2015
Tous les jours à 20h30, dimanches 26/04 et 10/05 à 15h

Manifestation organisée dans le cadre du Tandem Paris-London 2015, mis en œuvre par l’Institut français et la ville de Paris, avec le soutien de la ville de Londres et du British Council.

Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
M° Châtelet
Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

Be Sociable, Share!

comment closed