© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Une vie de théâtre, oh pas la célébrité, non, mais une carrière modeste, celle des soutiers des planches que la célébrité n’a jamais frôlée, voilà le destin de Anne-Marie Mille. Un beau nom de théâtre pourtant. Une vocation née à Saint-Sourd-en-Ger dans le Nord, quand elle voyait passer les comédiens de la Comédie de Saint-Sourd, compagnie théâtrale de Prosper Ginot. Montée à la capitale pour une audition au Théâtre de Clichy. La chambre de la rue des Rondeaux. La rencontre avec Giselle Fayolle, pas encore la vedette qu’elle allait devenir. Engagée toutes deux dans Bérénice, elle fut sa confidente, Phénice. Dans la vie aussi, elle fut la confidente. La beauté de Giselle Fayolle, ses cheveux, sa nonchalance… Anne-Marie Mille n’est pas très jolie, vraiment pas, pas un physique de cinéma en tous les cas. Elle-même le dit, son visage n’allait pas, ne suivait pas. Seul le théâtre la rendait belle, parfois. Parfois seulement, à ses yeux du moins. Là, elle osait se murmurer Anne-Marie la beauté. Comme quand gamine et découpant les articles sur Brigitte Bardot, elle imaginait vivre le destin de la star. La gloire fut pour Giselle Fayolle, l’ombre pour Anne-Marie. Entre théâtre et banalité domestique, Anne Marie raconte une vie sans gloire, les rôles incarnées, les partenaires et amis fidèles, l’envers du décor, le destin de ceux dont l’étoile n’a jamais brillé mais qui n’ont jamais renoncé.
Le récit de Yasmina Reza est un bel hommage à ces petits, à ces obscurs, ces comédiens à la vocation fermement chevillée qui traversent sans laisser de traces les planches des théâtres. Dont ils ne restent rien, où parfois un nom tout en bas de l’affiche, loin derrière celui des vedettes. Monologue sensible sur « (…) l’envers de ce que les autres regardent à l’endroit… » comme l’écrivait Colette, éternelle vagabonde. Coulisses des théâtres et coulisses d’une vie, on tombe toujours de haut. Et c’est pour André Marcon que ce texte fut écrit. Il y est simplement magistral. Pas plus travesti que vous et moi, il incarne Anne-Marie Mille sans plus d’effet que sa seule présence, sans fioriture, comme allant de soi. D’ailleurs on ne se pose même pas ici la question de la crédibilité de son incarnation, tant d’emblée, il y a l’évidence d’une rencontre, d’une fusion absolue entre Anne-Marie Mille et lui. Il est, sans composer aucunement, en apparence du moins, Anne-Marie Mille. La question même du genre ne nous effleure pas qui ne se pose pas non plus. Dans sa jupe et son corsage, assis sur cette méridienne de velours devenu le centre d’un univers où ne passent désormais que les fantômes d’un passé révolu, il n’est jamais ridicule mais au contraire d’une humanité bouleversante par sa banalité même. André Marcon ne joue aucunement l’amertume d’un destin raté, ou le cabotinage des ringards, mais au contraire avec beaucoup de subtilité l’acceptation lucide d’une existence étriquée, sans rien d’extraordinaire, entre les planches qui vous brûlent encore, malgré tout, et un quotidien domestique ou suinte l’ennui. Un jeu d’une grande sobriété, retenu et fermement tenu, aussi concentré que cette mise en scène dépouillée, voire austère, ne cherchant pas l’effet mais privilégiant cette parole singulière, entourée parfois d’ombres fugaces s’imprimant sur les murs (œuvre du peintre Örjan Wikström). André Marcon la beauté, voilà, osons dire ça.
© Simon Gosselin
Anne-Marie la Beauté, texte et mise en scène Yasmina Reza
Avec André Marcon
Assistanat à la mise en scène Oriane Fischer
Scénographie : Emmanuel Clolus
Avec le peintre Örjan Wikström
Lumières : Dominique Bruguière
Assistée de Pierre Gaillardot
Costumes : Marie La Rocca
Coiffures et maquillage : Cécile Kretschmar
Musique : Laurent Dunupt d’après Bach et Brahms, transcription pour main gauche de la Chaconne en ré mineur
Du 30 Novembre au 23 décembre 2021
Du mercredi au samedi à 20 h, le mardi à 19 h, le dimanche à 16 h
Théâtre de la Colline
15 rue Malte Brun
75020 Paris
Réservations 01 44 62 52 52
www.billeterie.colline.fr
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