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Anéantis de Sarah Kane, mise en scène de Simon Delétang au Studio-Théâtre de la Comédie-Française

Nov 22, 2021 | Commentaires fermés sur Anéantis de Sarah Kane, mise en scène de Simon Delétang au Studio-Théâtre de la Comédie-Française

 

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.

 

article de Denis Sanglard

Sarah Kane entre au répertoire de la Comédie-Française et c’est bien. Formidable auteure trop tôt disparue après cinq œuvres exigeantes, implacables, flamboyantes et désespérées, qui interrogeait l’humain dans ses retranchements ultimes, l’origine de la violence qui fonde notre système, le tragique de notre condition, intime ou politique, et posaient de fait la question centrale de sa représentation. En 1996 Anéantis, sa première pièce, fut une déflagration dans le paysage théâtral. Accueil glacial de la critique mais l’évidence était là, blasted, son titre original, rompait définitivement avec les codes de la représentation. Sarah Kane la première faisait le lien entre anciens et modernes, nouait fermement ensemble Shakespeare et Beckett, réunissant dans le champ de l’Histoire et du politique, l’épique et l’intime. Faire entrer le conflit bosniaque dans une chambre d’hôtel où se retrouvent deux amants, c’était résumer en un seul mouvement la condition humaine où les germes d’un conflit préexiste au conflit lui-même. La violence de nos rapports particuliers, voire intimes, n’est que le préliminaire de guerres de plus grande ampleur. Comment donc représenter ça, l’irreprésentable d’une réalité affirmée par des didascalies sans concession, explicites, minutieuses même, où frontalement le sexe et la violence la plus crue, jusqu’au paroxysme, participent de la dramaturgie voulue par Sarah Kane elle-même qui en préambule de son texte indiquait qu’ils étaient autant de répliques. A jouer donc tels qu’indiquées au risque de l’insoutenable.

Sarah Kane entre au répertoire de la Comédie-Française et c’est bien. Mais… Simon Delétang pratique hélas l’art de l’évitement, contourne l’obstacle de la représentation littérale des didascalies, refuse l’affrontement ou le scandale – mais y aurait-il encore maintenant scandale tant sommes-nous abreuvés d’images de même nature et non fictionnelles aujourd’hui par les réseaux-sociaux ? – Tout acte physique sexuel, toute action violente indiquée par les didascalies sont lus par une voix-off qui suspend le mouvement et les acteurs. Faire appel à l’imaginaire du spectateur voilà ce que souhaite Simon Delétang, que chacun dans la salle crée ses propres images et en prennent la responsabilité (sic). Créer une nouvelle poésie. Soit. Mais cela ne fonctionne pas ici, désamorce l’œuvre soudain déséquilibrée, et le propos de Sarah Kane pour qui il ne s’agissait pas de faire scandale mais de redéfinir les contours de la représentation, de brouiller la fiction dans son rapport avec la réalité, de les confronter, de trouver non une vérité mais le sens profond de ce qui est énoncé, dépouillé de tout artifice qui pourrait faire obstacle. Cette violence là n’est pas gratuite mais ouvre l’œuvre au monde. Et puis il y a les corps déterminés, traversés par cette violence, qui la portent en eux, victimes et bourreaux. Comment dès lors que l’action physique est renvoyée au spectateur, différée en quelque sorte, pour le comédien trouver celle-ci, comment peut-elle innerver votre corps, quand votre jeu se trouve borné au texte alors même que le théâtre de Sarah Kane ne dissocie pas l’action du texte et du corps ? On le sent bien là, quelque chose est rompu dans ce maillage qui fragilise les acteurs comme privés de l’essence fondamental de leur personnage. C’est ce qui manque sur ce plateau, affecté par cette absence de responsabilité des images et de leur violence, son poids de chair habitée et tragique qu’un jeu comme déréalisé, distancié et appliqué finit par nous lasser. Tout est désincarné et se dilue lentement… Ajoutons la fin quasi ratée, comme étrangement expédiée, met un peu plus mal à l’aise. La volonté de distance affirmée clairement par Simon Delétang nous éloigne malheureusement plus de cette œuvre incandescente qu’il ne nous en rapproche. Frustrant.

© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.

 

Anéantis de Sarah Kane

Traduction de Lucien Marchal

Mise en scène et scénographie de Simon Delétang

Costumes et assistanat à la scénographie : Aliénor Durand

Lumières : Mathilde Chamoux

Musique originale et son : Nicolas Lespagnol-Rizzi

Avec : Christian Gonon, Loïc Corbery, Elise Lhomeau

Voix off : Sylvia Bergé

En partenariat avec Le Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

 

Avertissement : certaines scènes peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

 

Du 10 novembre au 5 décembre 2021 à 18 h 30

Relâche lundi et mardi

Durée 1 h 10

 

 

Studio de la Comédie-Française

99 rue de Rivoli

Galerie du Carrousel du Louvre

75001 Paris

 

Réservations 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

Studio-Théâtre, vente des billets une heure avant le début de la représentation pour le soir-même

 

 

 

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