Critiques // « Amphitryon » d’Heinrich von Kleist, mise en scène Bernard Sobel à la MC93

« Amphitryon » d’Heinrich von Kleist, mise en scène Bernard Sobel à la MC93

Nov 14, 2010 | Aucun commentaire sur « Amphitryon » d’Heinrich von Kleist, mise en scène Bernard Sobel à la MC93

Critique de Camille Hazard

Heinrich von Kleist affirmait qu’il n’avait fait que traduire l’Amphitryon de Molière. Mais, loin de n’être qu’une simple version allemande, celui-ci remodèle l’œuvre de Molière, il amplifie chacun des propos  et la modernise en plaçant, au centre de l’écriture, la question du Moi et du Je. Rappelons que ce fut le dramaturge latin Plaute (254 av.JC-184) qui le premier écrivit cette pièce et le premier à poser la question de l’identité. Une œuvre en perpétuel devenir donc, témoin des époques, des bouleversements, une œuvre qui traverse les âges, grâce à des auteurs poussés par le même besoin de l’enrichir.

Jupiter, roi des dieux, profite de l’absence du général Amphitryon, pour se substituer à lui auprès d’Alcmène, sa jeune et vertueuse épouse. Mercure en fera de même avec l’esclave d’Amphitryon, Sosie, auprès de sa femme Charis. À partir de cette intrigue quelque peu rudimentaire, Kleist interroge le monde et l’individu.

Les questions sur la forme et le fond sont ancrées.

Quelle image ? Celle que je crois renvoyer, celle que j’aimerais renvoyer ou celle que je renvoie réellement aux autres ? L’image est-elle porteuse de réalité, mes yeux suffisent-ils à entrevoir une réalité vraie ? Et qui suis-je ? Ma personne se définit-elle par ce que je dis ? Ou par ce que je fais ? Peut-on se connaître réellement ? Ne peut-on pas douter de ce que l’on est ? Mais au fait, qui suis-je ? Suis-je ce que je connais de moi-même ou suis-je ce que les autres perçoivent de moi ? Et l’autre, qui est l’autre ? Suis-je assuré de le connaître ? Puis-je tellement le connaître qu’il deviendrait chair de ma chair ?… Oh ! mais tant de questions !  Mes Dieux ! ne suis-je pas entrain de sombrer dans la folie ? Autant de questions qui emplissent l’intrigue. Autant de questions qui renvoient au thème de l’homme marionnette. Peu à peu l’écriture survoltée de Kleist nous emmène dans un cycle absurde tournoyant aux abords de la folie. « Si tous les hommes, au lieu de leurs yeux, avaient des lunettes vertes, ils en concluraient que les objets qu’ils perçoivent à travers elles sont verts. Et jamais ils ne pourraient savoir si leur œil montre les choses telles qu’elles sont ou s’il leur ajoute quelque chose qui n’appartient qu’à lui. » Heinrich von Kleist. Lettre à Wilhelmine von Zenge.

Bernard Sobel avait déjà présenté une pièce de l’auteur, La cruche cassée en 1984.

Sa mise en scène d’Amphitryon est assez pâle comparée à l’écriture déchaînée de Kleist. Un plateau nu agrémenté tout de même, au fond, d’une toile où se reflètent quelques arbres, quelques nuages et l’ombre de la maison d’Amphitryon. Les personnages aiment à se parler d’un bout à l’autre de la scène ou resserrés au centre. L’évolution des personnages, au fil de la pièce est assez mince et chose plutôt  désagréable, les acteurs ont tous une manière d’aborder le texte qui a tendance à nuire aux propos de l’auteur : les jeunes comédiens présentent des systématismes dans leur diction, ils déstructurent les phrases, rendant difficile la compréhension du sens. L’acteur, Pascal Bongard, donne chair et vie à son personnage Jupiter malgré une diction lente et laborieuse qui sied assez mal au Dieu des Dieux ! La comédienne Aurore Paris (Alcmène), très belle, se meut dans une superbe robe blanche, mais, le jeu est quelque peu édulcoré. Quel dommage ! Le texte de Kleist rend pourtant un bel hommage à cette femme qui coûte que coûte, recherche le bonheur et la vie. Les situations, les sentiments sont bien sûr présents, mais le temps est long, étiré. Le comique de la pièce est distillé en très fines gouttelettes, à peine fait-il sourire. Le côté absurde ne nous parvient pas, il est certes écrit dans le texte, mais n’est pas assez mis en lumière sur le plateau.

Amphitryon
Texte : Heinrich von Kleist
Mise en scène : Bernard Sobel, en collaboration avec Michèle Raoul-Davis
Avec : Pascal Bongard, Laurent Charpentier, Laurène Folléas, Thomas Gourdy, Anne-Lise Heimbourger, Nicolas Orlando, Aurore Paris, Tibault Perrenoud, Côme Thieulin et Gaëtan Vassart
Décor : Lucio Fanti
Costumes, coiffures, maquillage : Mina Ly
Son : Bernard Valléry
Lumières : Alain Poisson
Assistante à la mise en scène : Mirabelle Rousseau
Assistante au décor : Jacqueline Bosson

Du 12 au novembre au 3 décembre 2010

Théâtre MC93
1 boulevard Lénine, 93000 Bobigny
www.mc93.com

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