Critiques // « Amphitryon » de Molière au Théâtre des Abbesses

« Amphitryon » de Molière au Théâtre des Abbesses

Jan 28, 2010 | Aucun commentaire sur « Amphitryon » de Molière au Théâtre des Abbesses

Critique de Monique Lancri

Une scénographie bien singulière !

Le spectacle a déjà commencé lorsque les gens s’installent dans la salle du théâtre des Abbesses. Sur la scène, un mur noir, nu, sur lequel se détache l’oculus d’une fenêtre ronde laissant apercevoir le gros plan d’un œil immense. Un œil qui clignote, regarde à droite, à gauche, les spectateurs en train de prendre place. Les jeux de miroirs ont débuté : tu me regardes, je te regarde. Voyeurisme? Derrière ce mur, Alcmène et Jupiter sont au lit, comme va nous l’apprendre le prologue. Au-dessus de cet œil, le néon rouge d’une ligne horizontale sépare le monde des mortels de celui des dieux. Ce rouge métaphorise l’ardeur des amants cachés par le mur au-dessus duquel Mercure demande à la Nuit de prolonger cette nuit d’exception. Exceptionnel est donc, également, ce dispositif scénique qui pourrait trouver place dans une exposition d’art contemporain.

Exceptionnel et pertinent. Alors que Molière précisait : «La scène est à Thèbes, devant la maison d’Amphitryon», Bérangère Jannelle a choisi, en faisant pivoter son dispositif, de nous montrer alternativement le dehors , dans des tonalités sombres, et le dedans, avec des couleurs chaudes qui vont de l’orange au rouge. D’un côté, l’espace public où Sosie (Olivier Balazuc) et Amphitryon (Arnaud Churin) se heurtent à la «maison close» ; de l’autre, l’espace privé, voire érotique, où l’on se dénude ( les acteurs ôtent chaussures et chaussettes quand ils y pénètrent).

Amphitryon, comédie ou tragédie ?

De quoi s’agit-il ? Molière, après Plaute et Rotrou, reprend l’histoire fascinante de l’amour que Jupiter voue à Alcmène, simple mortelle. Mais alors que le maître de l’Olympe, pour triompher en ses amours terrestres n’hésitait pas à emprunter toutes les formes possibles (cygne, taureau, pluie d’or…), le voilà contraint, ici, de se transformer en Amphitryon, général en chef des armées thébaines, l’époux d’Alcmène, car celle-ci aime son mari plus que tout et ne se laisserait pas séduire même par le divin Jupiter. Mercure va aider ce dernier dans son aventure en prenant l’apparence de Sosie, le valet d’Amphitryon. S’ensuit une série de quiproquos cocasses ou de situations coquines : Sosie face à l’autre Sosie (Ismaël Ruggiero), Amphitryon revenu plus tôt que prévu faisant le pied de grue devant la porte close de sa chambre, porte derrière laquelle le faux Amphitryon (David Maisse) prend son (bon) plaisir avec son épouse. Travestissements, jeux de miroirs : tout cela devrait nous faire rire. Or ce n’est malheureusement pas le cas. Juste un sourire de temps en temps. Pourtant Molière qualifie sa pièce de «comédie». Si Bérangère Jannelle entend faire de la pièce une «comédie noire», et c’est son droit, peut-être insiste-t-elle trop sur «noir» et pas assez sur «comédie».

Pourquoi avoir fait d’Amphitryon, à l’acte trois, ce personnage minable et ridicule qui, pourtant, ne fait pas rire ? Chez Molière, il est vrai, ridicules sont souvent les cocus, mais Amphitryon est un «cocu magnifique» : jamais cocufié que par une doublure, fût-elle divine, de lui-même. Ce général, par ailleurs, a de la prestance : si ce n’était le cas, comment aurait-il pu gagner le coeur d’Alcmène ? S’il est jaloux, en fin de compte n’est-ce pas lui qui triomphe ? Car Jupiter ne parvient à ses fins qu’en prenant son apparence, et c’est en vain que le dieu, au prix d’arguties qui portent la marque des «précieux» de l’époque, essaye de faire dire à Alcmène(Audrey Bonnet) qu’en sa personne, c’est l’amant et non le mari qu’elle préfère! Incapable de séparer l’un de l’autre, Alcmène ne commet pas d’adultère et c’est donc «sans pécher» qu’elle conçoit le fils de Jupiter !

Costumes, décor, tout nous transporte dans une époque imprécise car il s’agit d’une histoire intemporelle : ainsi l’a voulu Bérangère Jannelle. Les abus de pouvoir ne sont-ils pas encore d’actualité ? Molière, certes, ne les dénonce pas vraiment. Ecoutons Sosie, probable porte-parole de l’auteur, qui jouait le rôle : «Sur telles affaires, toujours / Le meilleur est de ne rien dire.»

Amphytrion
De : Molière
Mise en scène : Bérangère Jannelle
Assistante à la mise en scène : Luciana Bothelo
Scénographie : Stéphane Pauvret
Lumière : Christian Dubet
Son : Jean-Daniel Ratel
Costumes : Laurence Chalou
Video : Florent Trochel
Travail corporel : Sophie Gérard
Maquillage : Fatira Tamoune
Avec : Olivier Balazuc, Audrey Bonnet, Luciana Bothelo, Arnaud Churin, David Maisse, Maxime Mikolajczak, Sophie Neveu, Ismaël Ruggiero

Du 27 janvier au 12 février 2010

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75 018 Paris
www.theatredelaville-paris.com

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