Critiques // « Amour et désamour du théâtre » de Georges Banu chez Actes Sud

« Amour et désamour du théâtre » de Georges Banu chez Actes Sud

Sep 22, 2014 | Commentaires fermés sur « Amour et désamour du théâtre » de Georges Banu chez Actes Sud

ƒƒ article de Dominika Waszkiewicz

« Dieu a créé le théâtre pour ceux à qui l’église seule ne suffit pas »

Juliusz Osterwa (cité par Georges Banu en exergue)

Avec une gourmandise de connaisseur, Georges Banu nous invite à nous interroger avec lui sur ce qui fait du théâtre un art à part et souvent controversé. Pourquoi aime-t-on le théâtre ? Pourquoi ne l’aime-t-on pas ? Pourquoi en vient-on parfois même à nier son caractère artistique ? En quoi le lecteur peut-il être considéré comme supérieur au spectateur ? Qu’est-ce que le « trop théâtral » ? Pourquoi le théâtre traîne-t-il ainsi tout un champ sémantique péjoratif ?

En une subtile dialectique démontrant, une fois de plus, la richesse créatrice des antagonismes et des paradoxes, l’auteur nous offre un « procès ouvert » dans lequel les deux parties sortent apparemment gagnantes. Au lieu de chercher à imposer un point de vue unique et donc partial, il s’efforce de dévoiler toutes les contradictions fertiles engendrées par la scène. Et parce que la discontinuité crée le mouvement, elle est source de vie. Le théâtre apparaît alors dans sa polymorphie la plus actuelle et la plus jouissive. Ainsi, cet ouvrage devient un véritable chant d’amour, une ode au théâtre comme lieu par excellence de la praxis, creuset inestimable où se concentre la réalité, où se rencontrent les hommes.

« On ne va pas au théâtre pour s’oublier, bien au contraire, pour communiquer. » p. 59

9782330022662Grâce à une vision à la fois synchronique et diachronique, Georges Banu nous convie à une célébration du théâtre comme lieu de tous les possibles, terra incognita à la fois proche et lointaine. De Vilar à Brook en passant par Shakespeare ou Char, le chemin devient un délicieux butinage. Les mots de Hamlet croisent ceux de Conrad tandis que les souvenirs des représentations passées émergent du sang noir de l’oubli. La discorde initiale devient alors un prétexte à la mémoire. Éris laisse place à Mnémosyne. Rencontres, amitiés, impressions personnelles, derrière les impossibles réconciliations peintes par l’universitaire, on découvre ses propres contradictions, son désir de jouer, son rêve d’écriture, ses élans et ses échecs. Omniprésents filigranes dont la clef nous attend à la fin du livre, dans une postface à la vibrante sincérité et explicitement intitulée « pourquoi je ne suis pas devenu écrivain ».

« le théâtre c’est de la vie concentrée qui ne se résume pas au plateau, mais s’accomplit lorsqu’elle parvient à contaminer non pas tant le public collectivement que chaque être individuellement. » p. 33

En nous confiant ainsi son vécu de spectateur, Georges Banu ouvre la porte sur nos propres expériences. La mémoire individuelle devient mémoire collective, partage. En se racontant ainsi, il nous parle inéluctablement de nous, de nos joies et nos errements face à la scène. Qui n’a pas un jour ressenti cette insoutenable oppression face à une mauvaise pièce ? Les gouttes de sueur, les fourmillements dans les genoux, sensations liées à une claustrophobie insupportable, impression d’être pris en otage d’un spectacle que l’on ne cautionne pas. Ou encore, qui ne s’est jamais senti gêné par le désir d’interactivité imposé par la scène à la salle ? Pudeur attaquée par un comédien un peu trop proche, irrépressible timidité du public qui sort de l’ombre.

Finalement, au-delà d’un questionnement plus ou moins pertinent selon les chapitres abordés, l’auteur nous rappelle surtout la valeur de l’instant, des instants de théâtre, obligatoirement éphémères. Et inoubliables.

« Amour et désamour du théâtre »
de Georges Banu
collection « le Temps du Théâtre »

Actes Sud
18, rue Séguier
75006 Paris
www.actes-sud.fr

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