Critiques // « Alice et cetera » de Dario Fo et Franca Rame au Théâtre du Rond Point

« Alice et cetera » de Dario Fo et Franca Rame au Théâtre du Rond Point

Avr 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Alice et cetera » de Dario Fo et Franca Rame au Théâtre du Rond Point

Critique de Bruno Deslot

Le plaisir à tout prix !

De Hamlet d’après Shakespeare à Mary Stuart de Friedrich Schiller, Stuart Seide s’offre un détour explosif avec trois pièces brèves mais denses de Dario Fo et Franca Rame. Alice au pays sans merveilles, Je rentre à la maison et Couple à deux battants explorent les rapports entre l’homme et la femme dans un registre assurément comique, appuyant là où ça fait mal.

© Brigitte Enguérand

D’un trou à l’autre, une Alice tricéphale découvre les déconvenues d’un monde sans merveilles. Le beau chevalier, viril et conquérant qui promettait un orgasme extatique à la jeune vierge effarouchée, ramène bien vite celle-ci à la réalité de son quotidien. Comme chaque soir, une femme rentre à la maison, espérant se tromper de porte, elle n’échappe malheureusement pas à la banalité de son ménage où la dispute avec son époux conclue la journée. Mais parfois, il arrive de se tromper d’adresse et là, c’est l’aventure ! Une folle expérience salvatrice et grisante que tente de mener ce couple, héritier de mai 68, croyant s’émanciper de la morale bourgeoise pour toujours mieux y retomber. Les deux battants s’essoufflent, volent en éclats tout comme le public pris dans cette spirale infernale du plaisir à tout prix !

De la couleur et du rythme

© Brigitte Enguérand

Au Théâtre du Rond Point, « La saison est musicale ». comme le précise Le mari (Jonathan Heckel) en pleine crise d’aérophagie lorsque La femme (Caroline Mounier) lui apprend qu’elle aussi a trouvé l’équilibre parfait avec son nouvel amant ! De la couleur, du rythme et des propos surtout pas politiquement correct, pour faire entendre les trois pièces de Dario Fo et Franca Rame, évoquant les années 1960-1970 dans des tonalités corrosives et décapantes. L’auteur et sa muse lèvent le voile sur la vie telle qu’elle s’offre à nous et bien au-delà du paraître avec pour porte-parole, la femme qui s’évoquant ne peut s’empêcher de parler de l’homme. Un aller-retour délirant, aliénant et terriblement comique, restitue un propos tout particulièrement contemporain.

Une femme qui se décline en plusieurs tonalités comme les couleurs vives des costumes que portent les trois Alice, effigies à la gloire de Jacques Demy ! La voix, chantée, parlée, hurlée ou susurrée investit le plateau comme ces panneaux mobiles servant de décors pour les scènes qui s’enchaînent au rythme trépidant d’une comédie de boulevard, d’un théâtre qui s’inscrit dans la pure tradition du music-hall, de la farce et de la commedia dell’arte.

© Brigitte Enguérand

Alice au pays sans merveilles, interprétées par trois comédiennes alternant timbre de bronze et voix de fausset, annonce, par un travail choral sur des musiques classiques et rock, les rafales qui pulvériseront les doubles battants. Les décors colorés, mobiles et inattendus sont rehaussés par une lumière enveloppante, suave et suggestive. L’effet de surprise est exponentiel à mesure que l’on progresse sur ce vaste terrain de l’interdit ou du franc-parler. Le jeu des comédiens trouve sa consécration dans Couple à deux battants où l’adresse au public est de mise et crée une véritable complicité scène/salle. Une voix rauque, un regard irrésistible et rieur, une énergie époustouflante pour mener son personnage d’un bout à l’autre de la scène, Caroline Mounier (La femme) est aussi étonnante que surprenante. Menaçant de se donner la mort au début de la pièce, elle donne vie à l’ensemble de la proposition par son engagement et son talent. Elle s’adresse au public avec évidence et naturel, s’appropriant un style de théâtre singulier, propre à Dario Fo, auquel elle donne une couleur toute personnelle et d’une grande intelligence. Son partenaire, Jonathan Heckel (Le mari), lui donne le change et offre un jeu aussi généreux que talentueux. Les trois Alice, coquines et coquettes, apportent des notes toujours plus fantaisistes à chacune de leur intervention.

Une composition tonitruante interprétée par une distribution talentueuse, offre au public un vrai moment de théâtre, aussi déconcertant que divertissant.

Alice et cetera
De : Dario Fo et Franca Rame « Alice au pays sans merveilles », « Je rentre à la maison », « Couple ouvert à deux battants »
Texte français : Valérie Tasca
Mise en scène : Stuart Seide
Avec : Chloé André, Anne Frèches, Anna Lien, Sébastien Amblard, Jonathan Heckel, Caroline Mounier
Scénographie : Philippe Marioge
Costumes : Fabienne Varoutsikos
Voix et chant : Jacques Schab
Mouvement : Yano Iatridès
Son : Marc Bretonnière
Lumières : Bernard Plançon
Maquillages : Catherine Nicolas

Du 9 avril au 15 mai 2010

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr

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