Critiques // Ajax-Cabaret de Wadji Mouawad, d’après Sophocle, Théâtre National de Chaillot

Ajax-Cabaret de Wadji Mouawad, d’après Sophocle, Théâtre National de Chaillot

Juin 03, 2016 | Commentaires fermés sur Ajax-Cabaret de Wadji Mouawad, d’après Sophocle, Théâtre National de Chaillot

ƒƒ article de Denis Sanglard

WAJDI-MOUAWAD---AJAX_3110129047984715460© Pascal Gély

Ajax-Cabaret ou Ajax pour les nuls. Enfin c’est ce que l’on craint dès le début de cette nouvelle création. Crainte vite dissipée. Le metteur en scène Libano-Canadien Wajdi Mouawad, désormais directeur de la Colline, revisite Sophocle, réécrit Ajax, adaptation plus que libre de cette tragédie grecque, pour de nouveau interroger le présent au regard du passé. C’est un cabaret, oui, une forme libre ou presque qui grossit le trait, décale le propos, se permet une distance salutaire devant l’innommable. Poésie, comédie et tragédie s’entrelacent pour un résultat étrange et séduisant qui surprend et peut agacer aussi. Wadji Mouawad réécrit l’histoire, transpose le mythe, en se permettant des audaces poétiques voire saugrenues. Le suicide d’Ajax, héros de Troie, furieux de ne pas avoir obtenu les armes d’Achille, humilié d’avoir égorgé un troupeau de bovins en lieu et place d’Agamemnon et Ménélas, n’aura pas lieu. Dark Vador, deus ex machina, intervient pour éviter la tragédie. Confrontation ironique, à chaque époque sa mythologie et ses héros… Dérive des mythes fondateurs. Rappel narquois également du prologue et de la relation au père, thème récurrent chez Wajdi Mouawad. Tout est décalé ici, on le voit d’emblée, et même si ce n’est pas toujours réussi, le propos demeure percutant mais se noie aussi dans des numéros parfois bancals, des interventions qui laissent perplexe. La tragédie se frotte à la comédie et cette friction-là ne fait pas toujours des étincelles. On s’y perd un peu dans cette salade québécoise mais cela malgré tout frappe juste. Décalé donc à commencer par les animateurs de ce cabaret foutraque : un poste de radio vintage, une télé cathodique, un paquet de journaux libanais, un smartphone et enfin un ordinateur. Ces cinq-là discutent, commentent, interviennent. Humour et accent québécois, sinon libanais, tranchent et transforment cette tragédie en numéros de cabaret qui pointent du doigt et ainsi dénoncent l’évolution de la médiatisation, son outrance devenue, sa dématérialisation, particulièrement celle des conflits, cette info en continu et sans contrôle qui circule et véhicule désormais sur la toile les propos les plus abjects. On rit certes mais bientôt ça coince, le rire se fige, se glace. S’il n’y avait cette distance du cabaret, les propos sur le massacre de Sabra et Chatila – repris dans leur brutalité partisane, demeurant toujours insupportable – permettent la juste critique. Et Ajax dans tout ça ? C’est la clef pour sans doute comprendre les conflits. L’humiliation voilà sans doute ce qu’il y a derrière la colère et la guerre. Ce sentiment prégnant de l’humiliation qui voit un héros vouloir massacrer ses chefs. Ajax ici métamorphosé en chien enragé, karchérisé, encagé et enfin, superbe image, blanchi… La mémoire traverse aussi ce cabaret, cette mémoire qui ouvre le présent, l’interroge, la fouaille. Avec pour focus la phrase de Robert Davreu « La perte sera tout, la douleur et la joie ». C’est cette joie que Wadji Mouawad tente de retrouver dans ce cabaret. D’extirper de la mémoire, de la douleur, de l’humiliation, des mythes, des héros déchus, cette joie qui vous tient debout. Quand même. Wadji Mouawad à beau aboyer comme un damné, image fulgurante qui ouvre ce cabaret, ce n’est pas tout à fait la joie qui transpire, même si l’on rit beaucoup, mais un apaisement. Ce qui est déjà pas mal…

Ajax-Cabaret ouvre un triptyque Le dernier jour de sa vie. Doivent suivre Inflammation du verbe vivre (31 mai et 1er juin) et Les larmes d’Œdipe (2 et 3 juin)

Ajax-Cabaret
Conception, écriture et mise en scène Wadji Mouawad
Lumières Éric Champoux
Musique Jérôme Billy, Bernard falaise, Igor Quezada,
Costumes Mylène Chabrol
Maquillages et coiffures Angelo Barsetti
Assistance lumière et régie Eric Le Brec’h
Régie Plateau Eric Morel
Régie Vidéo Olivier Petitgas
Assistance son et régie Olivier Renet
Assistance costumes et régie Emmanuelle Thomas
Avec Jean Alibert, Nathalie Bécue, Jérôme Billy, Victor de Oliveira, Bernard Falaise, Jocelyn Lagarrigue, Patrick Lemauff, Igor Quezada

26 et 27 mai 2016

Théâtre National de Chaillot
1 place du Trocadero – 75116 Paris
Réservations 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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