ƒƒƒ article de Denis Sanglard
© Alain Richard
Sortir d’une représentation émue, chamboulé parce que le théâtre vous offre soudain une part d’humanité bouleversante, une leçon de liberté joyeuse, une émancipation frondeuse. Et quand cela est joué par une de nos plus grande actrice, aussi à l’aise dans le déjanté le plus fou que dans la tragédie la plus noire, Claude Degliame, on ne sort pas vraiment indemne de la salle Roland Topor où le destin, la vie Aglaé nous est contée avec autant de talent, de classe et d’irrévérence crue. Aglaé, 70 ans, vieille pute et non salope comme elle le précise. Car cela n’a évidemment rien à voir. Et vieille est désormais sa spécialité puisqu’elle travaille encore. Vieille après avoir été dominatrice SM. Elle a tout vécu Aglaé, le trottoir, les palaces, le bois et l’avenue Foch, Paris et aujourd’hui Marseille. Les macs et les flics. Et la taule, un peu. Tout vécu avec ses hauts et ses bas. Et tout vu, observé avec acuité. Cultivée avec ça. Elle a lu, beaucoup. De Freud à d’Ormesson et Simenon. Forte désormais et heureuse d’une liberté acquise par ce foutu métier qui lui a explosé les pieds, les talons ne pardonnant pas, Aglaé fustige l’hypocrisie d’une société qui condamne par préjugés et certitudes imbéciles. Tape sur les lois qui entravent, criminalisent son métier. Aglaé remet les pendules à l’heure sur le sexe et sa pratique, son commerce. Et notre grande tartufferie sur la chose. C’est cru certes mais jamais vulgaire. Une bite est une bite, point. Aglaé s’expose sans fard, sans tricher, elle qui, volontairement, a choisi ce métier. Faite pour ça assène-t-elle. Toujours mieux que d’être caissière. Lucide Aglaé. Non sans humour. Claude Degliame donc, mise en scène par Jean-Michel Rabeux. Un couple infernal pour une création qui renverse, met cul par-dessus tête les valeurs morales qui reviennent au galop en ces temps de puritains revenus. Dans la petite salle Roland Topor transformé en cabaret, Claude Degliame, en combinaison de soie noire à dentelles et lunettes de soleil extravagantes déambule, comme ici chez elle, impériale. Exposée au plus près. Cette proximité immédiate, ce contact brut et physique, donne une force inouïe à ce récit, ce témoignage. Pas de distanciation possible. Plus que spectateurs ou témoins, confidents de la dame comme le furent Jean-Michel Rabeux et Claude Degliame. Cette dernière, magistrale, dirigée au cordeau se glisse avec aisance dans la peau d’Aglaé et déroule ce récit avec une classe folle, celle d’une pute qui ne s’en compte pas, directe et sans façon. Sans effet, sans clichés, mais avec un sacré relief et beaucoup de subtilité. Pas plus pute que vous et moi mais femme effrontément libre. Et plus encore car ici et là quelques fêlures ouvrent sur une vérité enfouie. Bravache et libre, mais à quel prix ? Cette liberté-là a son coût. Et puis à un certain moment, il y a un silence soudain. Un long silence. Et ce qui ne s’exprime pas brutalement, ce qui surgit là, ce qui traverse le visage et le corps – il faudrait en parler de ce corps offert, à nu – de Claude Degliame vous cloue sur votre tabouret vous fait frissonner parce que s’y engouffre une vérité qui n’appartient qu’à Aglaé et qui ne nous est pas donné. Ce mystère Claude Degliame le préserve avec soin offrant à Aglaé un poids d’humanité formidable. Et c’est cela qui est magnifique c’est que désamorçant tout débat, ce n’est pas la pute que l’on découvre, même si elle répète à l’envie ce terme comme une provocation joyeuse, mais la femme maîtresse de son destin et de ses coups, cette différence qui fait d’elle un être en marge, au regard des lois et de la société dont elle se contrefout, mais au plus près d’une vérité de vie débarrassée de tous jugements et préjugés. En cela Aglaé est libre et nous libère nous aussi de tous jugements. Claude Degliame et Jean-Michel Rabeux désamorcent avec bonheur la provocation pour avec justesse et rude délicatesse offrir le portrait d’une femme exemplaire, à prendre en exemple oui et le théâtre est là pour ça et en cela la parole d’Aglaé devient politique. Et comme le précise Jean-Michel Rabeux, celui d’une « (…) grande, très grande personne (…)».
© Giovanni Cittadini Cesi
Aglaé, texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux
D’après les mots d’AglaéAvec Claude Degliame
Assistanat à la mise en scène Vincent Brunol
Lumières Jean-Claude Fonkenel
Du 13 au 24 juin 2023
Du mardi au samedi à 20h30
Relâche dimanche et lundi
Durée 1 heure
Le Lokal
10/12 bd Marcel Sembat
93200 Saint Denis
Réservation : 06.67.50.64.01
www.rabeux.fr
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