ƒƒ article de Camille Hazard
« Il y a des époques dans le monde
où les pères dégénérèrent
et quand ils tuent leur fils,
ils accomplissent des régicides »
Pasolini, écrit en 1966, un cycle de six tragédies ; rarement montées, ces pièces ont été longtemps mises de côtés avant de jouir d’un regain d’intérêt il y a quelques années.
Le travail de Stanislas Nordey en tant que metteur en scène, est rapidement marqué par la langue pasolinienne ; il met en scène Bête de Style en 1991, Calderón en 1993, Pylade en 1994 et Porcherie en 1999. Il faudra attendre seize ans pour que le metteur en scène poursuive son désir de monter le cycle des tragédies et présente Affabualzione.
Affabualzione est la tragédie des pères et des fils.
C’est, comme l’a pensé Pasolini, le mythe d’ Œdipe inversé.
En cette fin des années 60, l’Italie (comme d’autres pays) et la bourgeoisie se voient bousculer par des idées libertaires, par un souffle jeune, par toute une nouvelle génération qui veut « tuer le père » et changer le monde. Pasolini, à travers son œuvre cinématographique ou littéraire, analyse les rouages de cette révolution en marche et s’aperçoit rapidement que la jeunesse qui manifeste aujourd’hui représente la classe bourgeoise de demain. Plus qu’une mascarade, un échec cuisant pour la classe prolétaire.
Un couple bourgeois dans la province de Milan.
De ce mariage est né un garçon, maintenant adolescent.
Un après-midi, le père se fond dans un rêve ambigu, dans lequel il voit, il cherche son fils.
Dès lors, le père est pris d’une crise mystique, d’un bouleversement sans rédemption.
Confrontation avec lui même, avec son fils.
Le père inverse le complexe d’ Œdipe ; il lui dit ne pas le comprendre, ne pas le connaître, qu’il veut lui ressembler. Il souhaite mourir de ses mains.
L’obsession du fils gangrène ce riche industriel jusqu’au meurtre.
Le père redevenu fils, tue le père…
L’idée fondatrice de la pièce et de Pasolini est de nous rappeler le cycle éternel de lutte et de meurtres entre les fils et les pères.
Si les pères font mourir leurs fils à la guerre ou dans des prisons, les fils, qui ont grandi, prennent la place du père en devenant eux-mêmes père et rendant ainsi leur père à l’état de fils.
Cette lutte intestine peuple les tragédies de Sophocle, d’Eschyle…
Pasolini extirpe ce nœud et le dénoue jusqu’à épuisement dans cette affabulation.
Le texte très dense, long, poétique et très didactique donne immédiatement au metteur en scène, qui se lance dans l’aventure, l’appellation de courageux. Si Pasolini assène son propos page après page, fait des tours et des détours pour le formuler à la toute fin, c’est certainement qu’à l’époque où il écrit, ces idées nouvelles sur la société bourgeoise et de consommation ne sont entendues que par très peu. Il n’en va pas de même pour notre époque qui a déjà entendu les propos de l’auteur (et d’autres d’ailleurs) et le chemin de la démonstration parait bien pentu pour l’idée finale. Mais c’est sans compter la langue magnifique de Pasolini qui transperce, bouleverse et anéantit le spectateur qui accepte de lâcher prise.
Et le texte de Pasolini résonne…
La peinture richement défraichie sur les murs et le sol carrelé de motifs traditionnels bourgeois accueillent la famille dans un espace vide et clos. Des pans de murs amovibles transforment l’espace au fur et à mesure que les huit tableaux progressent.
Les costumes suggèrent une éducation, une tenue rigide, une classe sociale élevée mais se font oublier, les jeux de lumière qui font danser les ombres perdues de cette famille, diffusent bientôt une lumière sacrée.
Stanislas Nordey pose tous les repères nécessaires à la compréhension du propos puis se concentre uniquement sur le texte et sa résonance.
Si quelques idées de mise en scène sont peu convaincantes comme l’enjambée d’un tableau par le spectre de Sophocle ou la présence justement de ces gigantesques reproductions de détails de peintures sacrées italiennes apposées sur le mur du fond, le travail de Nordey reste magistral dans la précision et la transmission du texte. On sent le respect qu’il a pour l’auteur et son envie de faire partager sa langue. La direction des comédiens va également dans ce sens ; ce qui amène une certaine distance dans le jeu mais permet le rayonnement poétique.
Quand beaucoup de metteurs en scène tentent à tous prix « d’apporter quelques chose en plus » au texte d’un auteur qu’ils travaillent, il est bon de reconnaître la patience et l’exigence de Stanislas Nordey pour faire entendre l’un des plus grand poètes, dramaturges, cinéastes du vingtième siècle, Pier Paolo Pasolini.
Affabulazione
Texte Pier Paolo Pasolini
Mise en scène Stanislas Nordey
Traduction de l’italien Jean-Paul Manganaro
Collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottanceau
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumières Philippe Berthomé
Musqie Olivier Mellano
Son Michel Zürcher
Confection robes Atelier Caraco Canezou
Perruques Catherine Saint Sever
Assistant mise en scène Anthony Thibault
Régie générale Antoine Guilloux
Construction décor Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne
Peinture sol Valérie Menuet
Peinture décor Sibylle PortenierAvec Marie Cariès, Raoul Fernandez, Thomas Gonzalez, Olivier Mellano, Anaïs Muller, Stanislas Nordey, Véronique Nordey et Thierry Paret.
Du 12 mai au 6 juin 2015
Du mercredi au samedi à 20h30, mardi à 19h30, dimanche à 15h30.La Colline – Théâtre National
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
M° Gambetta
Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr
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