© Alain Monot
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Autoportrait d’un acteur. On peut être dérouté par les plus de dix minutes qui ouvrent cette création, confession d’un enfant de la fin du vingtième siècle, où a capella Jonathan Capdevielle chante un medley, bande son des années 1980, et un peu plus, année de son adolescence provinciale. On y reconnait Madonna en fil rouge dont il était fan, mais également Francis Cabrel, Purcell et ça et là des chansons de corps de garde, crues comme il se doit. Chansons populaires donc qui signent là une biographie éclatée, fragments d’une vie, d’émotions traversées, de questions posées, de doutes. Milieu, famille, religion, sexualité, genre, mort… On a tous en nous quelque chose de Madonna, icône cathartique dont les provocations, derrière l’image pop, interrogeaient alors une société en pleine mutation. Un miroir et un portrait en creux pour un adolescent, l’espoir sinon le choix d’un ailleurs possible et la naissance au loin d’une vocation. Et de son milieu il est également ici question dans la seconde partie de cette performance. De son arrachement nécessaire plus particulièrement. Le refus d’un déterminisme social. La conversation avec son père où il ne se dit rien que de très banal mais où s’exprime pourtant, concentrée, le parcours de cet adolescent devenu adulte et artiste, et le fossé qui désormais le sépare de son milieu d’origine, bouleverse, vous empoigne parce que l’acteur à cet instant précisément achève sa transformation, se travestit, blonde peroxydée et maquillée, dans une loge, son monde désormais, signant ainsi une double transgression, celle de son milieu et celle du genre. La chrysalide inquiète et gracile est devenue l’imago protéiforme. La scène finale, en boîte de nuit, lui en reine ivre de la soirée, scène de danse, de beuverie et d’impuissance, aussi comique que tragique, marque encore une fois le refus et la volonté d’échapper à un avenir provincial désespérant et aliénant, toujours présent au fond de soi et malgré tout. On ne s’étonne pas plus alors de voir débarquer une chorale d’hommes entonnant la chanson des montagnards. Comme si encore une fois la chanson dessinait un espace social, mental, un ancrage définitif et dont Madonna par opposition incarnerait un ailleurs fantasmé, la possibilité d’une construction de soi, d’une invention de soi autre que déterminée. Mais la capacité de Jonathan Capdevielle de multiplier les voix, d’imiter, d’incarner vocalement famille et proches et de leur donner ainsi corps, de façon tangible, a quelque chose d’infiniment troublant. On oublie vite l’imitation, jamais caricaturale, pour une véritable incarnation ou la voix prend au réel corps. Il y a foule sur le plateau, vivants et morts, devenu espace mémoriel d’une adolescence dont il garde la nostalgie et ne peut se résoudre tout à fait à dire adieu. Et ce qui est proprement fascinant chez Jonathan Capdevielle c’est bien cette aptitude à la métamorphose. Tant vocale que physique. Métamorphose à laquelle nous assistons médusés. Non pas tant par le travestissement lui-même que par cette capacité inouïe d’incarner, de devenir l’autre en restant soi. Et dans la parole de l’autre incarnée, empruntée, trouver aussi sa propre part, sa propre voix. Etre Madonna ou chanter « la boîte à caca » c’est aussi être soi.
Adishatz / Adieu un spectacle de et avec Jonathan Capdevielle
Lumière Patrick Riou
Collaboration artistique Giselle Vienne
Regard exterieur Mark Tompkins
Assistant audio Peter Rehberg
Assistanat artistique pour les tournées Jonathan Drillet
Régie générale Christophe Le Bris
Régie son Johann Loiseau
Avec la participation d’Ecume, ensemble choral universitaire de Montpellier, direction musicale Sylvie Golgevit
Avec en alternance Pierre-Yves Bruzzone, Renaud Lebrun, Paco Lefort, Jean-Luc Martineau, Olivier Strauss, Benoit Vuillon
Du 12 décembre au 2017 au 6 janvier 2018 à 20h30
Relâche les lundis, dimanches et le 2 janvier
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean tardieu
2bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations 01 44 95 98 21
www.théâtredurondpoint.fr
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