Critiques // Acte sans paroles 1 » par Dominique Dupuy au Théâtre National de Chaillot

Acte sans paroles 1 » par Dominique Dupuy au Théâtre National de Chaillot

Fév 05, 2013 | Aucun commentaire sur Acte sans paroles 1 » par Dominique Dupuy au Théâtre National de Chaillot

ƒƒƒ Critique Dominika Waszkiewicz

Acte 06@Baptistealmodovar

© Acte 06@Baptistealmodovar

Une célébration du corps comme théodolite

Outils d’arpentage, les corps délimitent l’espace scénique : à la fois horizontalement et verticalement, ils tracent des lignes, des parallèles, des perpendiculaires, des diagonales, des courbes… Écrit à la même époque que Fin de Partie, cet acte sans paroles est une transcription gestuelle du langage.

Pas une pantomime mais plutôt, un peu comme dans les compositions mathématiques de Mondrian,  une géométrisation expérimentale de l’espace qui émerge alors au fil des répétitions de mouvements. Les gestes, étranges ou quotidiens, balisent la scène et développent une myriade de possibilités spatiales, allant du point fixe à la symétrie.

Bien avant la création de Quad, se dessine déjà la curieuse obsession du cube, des cubes, éléments à la fois ludiques et enfermant, éloignant de nous la tentation de l’interprétation mimétique. Et, dans ce lieu, hautement symbolique et protégé d’un hors-scène menaçant par deux imposantes doubles portes, déambulent deux personnages, deux pantins, instruments de mesure réifiés et obéissant, comme Clov dans Fin de partie, aux coups de sifflet d’un maître invisible.

Le lieu paradoxal de l’Unheimliche

Alors que Deleuze parle déjà de « ballet » au sujet de Quad, Dominique Dupuy fait appel aux ressources du nouveau cirque et de ce qu’il appelle la « dansée », pour porter sa création hors de la rigidité des codes imposés. Visiblement à l’aise avec le terrain beckettien, le chorégraphe nous entraîne aux confins de l’exploitation des possibilités scéniques et rappelle, par le chuchotement de citations, la quête essentielle du dasein.

D’une précision parfaite et minimaliste, le spectacle nous donne à voir deux personnages, l’un jeune, l’autre vieux, révélant des traits creusés. Violemment rejetés du monde extérieur bruyant et chaotique, ils vont devoir, chacun leur tour, réagir aux mêmes objets présentés : un mouchoir, un arbre, de l’eau, des cubes, une corde.

Que ce soient les prouesses  vertigineuses du jeune circassien du collectif Ivan Mosjoukine ou bien les hésitations quasi-séniles du chorégraphe-interprète, acte sans paroles nous parle de la stérilité d’un monde clos, hermétiquement coupé de l’extérieur. Un monde où les objets prennent un relief fantasmagorique et concret. Un monde où la présence physique est révélée, brute, débarrassée de sa dimension psychologique et anthropologique.

Grâce à la précision du travail scénographique d’Éric Soyer, la mécanique apparaît admirablement huilée et, étonnamment, on se dit que la danse seule pouvait apporter cette rigueur chorégraphique au texte beckettien de l’éternel recommencement.

 

Acte sans paroles 1
Une pièce de Samuel Beckett
Mise en acte Dominique Dupuy
Scénographie, lumières Éric Soyer
Assistant à la mise en acte Wu Zheng
Avec Dominique Dupuy, Tsirihaka Harrivel
Avec l’équipe du Théâtre National de Chaillot

Jusqu’au 9 février à 19h, relâche les dimanche et lundi.
Durée : 1h25
Théâtre national de chaillot
1, place du Trocadéro
75116 Paris
Métro : Trocadéro
Réservation : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

 

Acte sans paroles 1 sera joué le 24 février 2013 lors du festival Les Hivernales au Théâtre du Chien qui fume (Avignon) et du 11 au 13 mars 2013 à l’occasion du festival Spring à la Comédie de Caen.

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.