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About Love and Death, d’Emmanuel Eggermont à L’Échangeur, Bagnolet, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 25, 2024 | Commentaires fermés sur About Love and Death, d’Emmanuel Eggermont à L’Échangeur, Bagnolet, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Jihyé Jung

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Je n’ai jamais vu Raimund Hoghe danser. Je ne connaissais pas son travail. C’est une page blanche, comme l’espace scénique qui s’ouvre devant moi ce soir-là. C’est un regret, qui deviendra une évidence au sortir d’About Love and Death – Élégie pour Raimund Hoghe, créé par l’interprète emblématique du chorégraphe décédé en 2021. C’est beau et troublant comme la présence d’Emmanuel Eggermont sait aussi honorer l’absence, comment cette présence peut s’affirmer, trancher, couper court et pourtant laisser flotter ce qui n’a pas de contour, le halo d’un souvenir telle une poussière en suspens, le vibrato d’un geste net dont l’écho n’en finirait pas d’onduler entre passé et présent. La ligne claire du mouvement s’auréole du sfumato du temps ébranlé. Emmanuel Eggermont tient ferme la couronne de cette danse et c’est le monde alentour qui tremble d’émotion. Le corps glorieux, on le comprend en le voyant, est celui capable de marcher dans l’antique trace, sans que l’on ne puisse plus distinguer, ne faisant plus qu’une direction, d’où il vient et où il va : ce qu’il ouvre d’avenir et ce qu’il renferme de passé. Emmanuel Eggermont est exactement à cet endroit précis et prodigieux.

About Love and Death conjugue le visible à l’invisible : le danseur et chorégraphe en est le seuil. Lorsqu’il enjambe l’espace il franchit le temps. Il est un franchissement à lui-même entre héritage et devenir. Chemin faisant du geste appris et accompli il se libère dans l’instant nouveau. Entre deux verres posés au sol, remplis d’une poudre blanche, il se couche rectiligne, mouvements profilés du buste, des mains, avant-bras, dans une corporéité immédiatement reconnaissable : faune de toute éternité se découpant dans la lumière qu’irradie encore Nijinski. Emmanuel Eggermont fait donc bien référence, prolongeant celles de Raimund Hoghe, et dans le même temps, par un subtil pas de côté, une différence ajourne la citation originelle. Une nouvelle perspective, la possibilité d’un autre récit, émergent : l’impossible dernier repos lorsqu’il faudrait faire face à l’éternité ? Cette somptueuse élégie ne se complait pas dans la prostration d’un filius doloroso ni dans la fixation marmoréenne de la geste du maître disparu. En le voyant, on se dit que la danse est décidément art de la résurrection, de la résurgence, qu’un geste se lève parce qu’un autre est arrivé à terme, qu’elle est un éternel recommencement, à la manière d’une Pénélope, les gestes tissés et les motifs renouvelés sans cesse.

Joséphine Baker (Quand je pense à ça), Peggy Lee (Johnny Guitar), Freddie Mercury (I was born to love you) ou encore l’air de Carmen, sont quelques-unes des voix qui texturent l’épaisseur spectrale d’About Love and Death, voix d’au-delà auxquelles la danse fait front dans le présent-là jusque dans ce sillon où ne sont plus perceptibles que les craquements du vinyle. Emmanuel Eggermont dépose ses petits cailloux noirs sur les rives du temps perdu, pareils à un gué qu’il nous invite à passer dans un mélange de gravité et d’allégresse. About Love and Death excelle dans un art de la découpe, qui rendrait perceptible et matérielle l’axialité du monde. Art du retranchement et de la condensation. Le corps plie l’espace comme pour mieux déplier le temps. Une danse de précision comme on parlerait d’une mécanique, horlogerie virtuose capable, par la netteté de son mouvement détouré, d’attraper et mesurer l’instant. Sa perfection convoque d’un même geste le plein et la transparence. Elle est cristalline, chaque mouvement résonne dans l’âme avec le tranchant du verre. Sophistication et élégance ne sont pas ici de vains mots, mais semblent au contraire fournir les armes éthiques et esthétiques, seules capables de vaincre l’anéantissement du geste sous l’amoncellement et la mollesse du banal. La danse de Raimund Hoghe, telle qu’elle nous est ici donnée à voir, par ce messager du passé et ce porteur d’avenir, est une forme d’aboutissement absolu. Un achèvement. La claudication d’Emmanuel Eggermont, sur un attelage impair de chaussures à talon, n’est pas un imparfait mais un plus-que-parfait.

Reprenant des éléments chorégraphiques de Raimund Hoghe, son vocabulaire, détachés comme des fruits mûrs, esseulés et appariés dans de nouvelles propositions, About Love and Death assemble ses parties à la manière d’un alphabet pour composer une revue poétique, fantasque et élégiaque (cette danse, qu’on se le dise, est profondément une écriture, dont le corps serait l’encre, la mesure et la perspective alignant leurs planètes). Les gestes se réverbèrent dans le miroir de leur arrachement, et, formant de nouvelles constellations, brillent comme une poignée de diamants jetés en l’air. Et nous emplissent d’un rare sentiment de complétude.

 

© Jihyé Jung

 

About Love and Death, concept, chorégraphie et interprétation : Emmanuel Eggermont

Collaboration artistique :  Jihyé Jung

Création lumière : Alice Dussart

Régie sonore : Julien Lepreux

Durée : 1h15

 

Le samedi 15 juin 2024 à 19h

 

Théâtre L’Échangeur – Bagnolet

59 avenue Général du Gaulle

93170 Bagnolet

 

Réservations : 01 43 62 71 20

www.lechangeur.org

 

Dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

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