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Abnégation, d’Alexandre Dal Farra, mis en scène par Guillaume Durieux, au Monfort-Théâtre

Sep 28, 2020 | Commentaires fermés sur Abnégation, d’Alexandre Dal Farra, mis en scène par Guillaume Durieux, au Monfort-Théâtre

© Guillaume Durieux

 

ƒƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier-Cassia

Abnégation, créée en 2013 à Sao Paolo par son auteur Brésilien, Alexandre Dal Farra, est la première pièce d’une trilogie par laquelle il entend rendre compte du climat politique et social contemporain de son pays, le Brésil. Mais il ne s’agit pas d’une fresque didactique qui aurait peu d’intérêt, tout un chacun connaissant, au moins dans les grandes lignes, l’évolution délétère de ce pays. Au contraire, le dramaturge propose une représentation allégorique de la face triviale du pouvoir, à travers une galerie de portraits, qui pourraient être autant polonais, libanais, français que brésiliens, permettant d’universaliser la dénonciation du climax des rapports de force politiques, qui n’est que violence.

Ce qu’il y a d’extraordinairement puissant et efficace dans cette pièce, dont la langue est d’une grande précision et finesse (sans doute aussi grâce à la traduction française d’Alexandra Da Silva et Marie-Amélie Robillard), c’est la création d’un climat de noirceur, d’une ambiance de terreur plus ou moins contenue, d’une atmosphère de brutalité et de vulgarité exprimée dans les mots, les gestes, le verbe, les humeurs. Injures, liquide (jets d’eau en bouteille symbolisant urine et sperme), sang (le steak cru dévoré par Paolo et la description de l’éventration de la prostituée) fusent sur le plateau pendant l’heure et demie du spectacle.

Dans le même temps, ce sont les non-dits de certaines mises en situation qui posent quelques indices pour en appeler surtout à l’imagination du spectateur, sans jamais donner de réponse. Qu’est-ce que « l’accident » mentionné dès la première partie de la pièce et qui sera ré-invoquée à plusieurs reprises ? On ne le saura jamais et cela n’a aucune importance. Le décor est planté. Nous sommes dans les bas-fonds d’un parti politique, où tout est sale et quiconque y pénètre, entrant ou sortant de cette unité de lieu qu’a choisi l’auteur, porte à jamais les traces de cette souillure (poussière sur les vêtements du début ; sang du steak qui macule jusqu’à la fin la bouche de Paolo ; traces de cocaïne sur José et Jonas ; ciment jeté sur le conseiller Celsio à la dernière scène).

Les interactions entre les protagonistes s’articulent autour de dialogues ciselés qui n’ont rien à envier aux meilleurs textes du théâtre de l’absurde, accompagnés par une bande son dont la variété peut étonner (musique latine, bruitages divers inquiétants ou assourdissants, chant a capella par l’ensemble des comédiens…) mais qui soutient efficacement l’atmosphère étrange reposant principalement sur les postures d’humiliation (notamment via le machisme opéré par chaque homme d’une manière différente, à l’égard de Flavia, seul personnage féminin), qui se manifeste également par des vagues d’affrontements physiques.

Les cinq comédiens excellent dans les dimensions respectives de la monstruosité de leurs personnages, lesquels révèlent chacun, à des moments divers de la pièce, la part plus ou moins infime qui leur reste d’humanité. Ceci ébranle davantage les convictions du spectateur et l’effet cathartique.

Éric Caruso, que l’on avait trouvé remarquable dans Une maison de poupée mise en scène par Stéphane Braunschweig en 2009, campe, dans le personnage de Paolo, un pilier du parti, dont on comprend progressivement le rôle majeur dans sa vie interne, et qui malgré son flegme relatif, deviendra volontairement si ce n’est son bouc-émissaire, son agneau sacrificiel, éclairant ainsi pleinement le titre de la pièce.

Thomas Gonzalez, alias Jonas, excelle dans son rôle de jeune conseiller en communication, tellement drogué, qu’il n’est évidemment utile en rien au parti, mais devient un rouage participant à la mascarade en marche orchestrée par le candidat au poste de Gouverneur, José, un rôle machiavélique brillamment interprété par Alain Fromager, manipulateur suprême usant de la corruption, des drogues et de l’intimidation pour finalement tout faire converger vers ses seuls intérêts personnels.

Florence Janas, qu’on avait remarquée dans Ceux qui errent ne se trompent pas de Maëlle Poésy et Kevin Keiss, est étonnante dans sa capacité transformatrice (du strip tease à la petite vieille), jouant une Flavia semblant soumise à la domination masculine, allégorie du pouvoir politique, chosifiée par ses titulaires qui écrasent et corrompent ceux qui les entourent. Mais elle s’avère être un personnage plus complexe, jouant un rôle pour se protéger et s’en sortir à sa manière.

Enfin, Stanislas Stanic campe un conseiller (Celso) qui illustre une partie du sens du titre de la pièce si on se rapporte à son origine latine (abnegatio) évoquant le renoncement. Le renoncement aux valeurs, par soumission, lâcheté, vénalité…

La mise en scène de Guillaume Durieux et la scénographie de François Gauthier-Lafaye, sont à l’image de l’esprit de la pièce : énergique, sombre, passant du réalisme à l’énigmatique, entraînant l’empathie et le dégoût. Et au final, domine l’impression d’avoir assisté à un texte inattendu servi par des comédiens remarquables.

 

© Guillaume Durieux

 

Abnégation d’Alexandre Dal Farra

Mise en espace Guillaume Durieux

Assistant à la mise en scène et à la dramaturgie Alan Castelo

Traduction Alexandra Moreira da Silva et Marie-Amélie Robillard

Collaboration artistique et création lumière Kelig Le Bars

Scénographie François Gauthier-Lafaye

Peintre Pierre-Guillem Coste

Musique Sylvain Jacques

Costumes Colombe Lauriot Prevost

 

Avec : Thomas Gonzales, Stanislas Stanic, Éric Caruso, Florence Janas, Alain Fromager

 

Du 24 septembre au 3 octobre 2020

à 20 h, relâche les 27 et 28 septembre

Durée 1 h 30

 

Le Monfort

Cabane

106 rue Brancion

75015 Paris

 

Réservation 01 56 08 33 88

www.lemonfort.fr

En tournée à Amiens en avril 2021, Châteauvallon et Reims en mai 2021

 

 

 

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