À l'affiche, Critiques // A plates couture de Carole Thibaut mise en scène de Claudine Van Beneden à la maison des métallos

A plates couture de Carole Thibaut mise en scène de Claudine Van Beneden à la maison des métallos

Mai 13, 2016 | Commentaires fermés sur A plates couture de Carole Thibaut mise en scène de Claudine Van Beneden à la maison des métallos

ƒ Anna Grahm

aplatescoutures-1

© Cédric Rouillat

C’est un petit gang de filles pas piqué des vers. Elles ont la cinquantaine bien sonnée et roulent des mécaniques, gloussent comme des gamines et poussent la chansonnette à capella, gonflées à bloc. Dans l’atelier de confection où elles ont travaillé toute leur vie, elles posent, suggestives, lascives et s’amusent à être toutes mannequins.

Ce sont les couturières de Lejaby, ouvrières zélées comme leurs ainées et qui viennent de découvrir que le made in France n’est plus français. Le récit de leurs batailles est émaillé de provocations dérisoires, de cris de guerre, de petits pas de danse. Mais ni leurs coups de gueule, ni leur banderole rouge n’arrêteront l’histoire qui s’écrit désormais sans elles.

Derrière elles sur l’écran, l’alignement à perte de vue des tables de confection, des dizaines de centaines de salariées au travail. Et sur la scène, elles répètent les gestes appliqués du savoir-faire de l’excellence qu’elles ont appris.

Assises à leur poste, devant leur machine à coudre, elles ressemblent à des robots. Attrapent, assemblent, piquent, vérifient, jettent, mettent et remettent cent fois sur le métier. Avec un soin méticuleux, dans un bruit assourdissant. Le musicien juché sur un coin du plateau transcrit les froissements et le bourdonnement constant de cette ruche. Mais le pianiste incarne aussi la parole vacharde d’un chef qui hait les femmes enceintes qui n’ont rien à faire dans une fabrique de luxe.

Coup de blues pour ce vivre ensemble qui se délite, qui dans le rétroviseur avait créé tant de liens, et décryptage face public des habitudes qu’elles ont acquises au cours de leur vie, bal du samedi soir, mariage, ménage, course impitoyable des heures perdues, manège des rituels, éducation des enfants. Depuis qu’elles font face à la mondialisation elles ont beau baisser la tête et se plier au Smic et à toutes sortes de sacrifices, elles savent qu’elles vont mourir.

D’ailleurs l’une d’elle s’est noyée, à force de nager en pleine tempête sans jamais avancer. Alors, pour ne pas désespérer tout à fait, elles luttent. Accélèrent les cadences, regardent les copines qu’on fiche à la porte, et pour ne pas être désignées comme incapables, marchent ou crèvent comme des esclaves. Mais la valse des licenciements s’accélère, mais les doigts de fées ont perdu l’or qu’elles avaient dans les mains.

Les sentiments d’abandon succèdent aux petits instants de bonheur. Déjà elles appréhendent le chômage qui les guette, les petits boulots qui ne paieront pas les loyers. Déjà elles devinent que des ménages seront brisés. Pourtant, même si elles crient au scandale, lèvent le poing et se démènent avec une rare intensité, la machine économique infernale les broie. Et même si les hommes politiques se précipitent au chevet des entreprises qui meurent, leurs promesses toutes en gesticulation n’y changeront rien.

Née au début du siècle, dans la région Rhône-Alpes, là où se concentre la filière textile, la petite entreprise Lejaby est d’abord un projet familial. Mais ce qui deviendra un des fleurons de la lingerie française va être frappé plusieurs fois, subir les crises successives : choc pétrolier, inflations, réduction des commandes et, comme une myriade d’industries, finira par être démantelé. Ici la mise en scène élude l’avalanche de circonstances qui ont orchestré ce désastre. Il manque le point de vue des entrepreneurs qui se sont battus pour que le modèle français atteigne l’excellence.

Quand les salariés d’Asie ou des pays du Maghreb en auront assez de subir l’exploitation de la révolution industrielle, il y a fort à parier que les usines reviendront, sans avoir besoin de main d’œuvre humaine. Quant à la cliente de luxe, elle habite déjà à l’étranger. En attendant, le spectacle de ces femmes, toutes si singulières, si uniques, si fortes, qui prennent la plume et le micro pour réaffirmer la liberté de dire les injustices, est absolument réjouissant.

A plates couture
Texte de Carole Thibaut
mise en scène de Claudine Van Beneden
assistant mise en scène Raphael Fernandez
musique Simon Chomel
scénographie Sophie Toussaint
avec Angeline Bouille, Barbara Galtier, Chantal Péninon, Claudine Van Beneden et Simon Chomel
du 10 au 14 mai 2016

Maison des métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud à Paris 11
réservation 01 47 00 25 20
maisondesmetallos.org
 

Be Sociable, Share!

comment closed