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Critique • « A mon âge, je me cache encore pour fumer » de Rayhana à l’Epée de Bois

Sep 22, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « A mon âge, je me cache encore pour fumer » de Rayhana à l’Epée de Bois

Critique de Evariste Lago

Intimité humide

A mon âge, je me cache encore pour fumer prend corps en Algérie, dans un hammam pour femmes. Une journée ordinaire. Neuf femmes ordinaires. Neuf histoires. Le premier tableau apparaît comme une œuvre picturale s’inspirant du bain turc d’Ingres qui aurait emprunté la lumière d’un Vermeer. Tout commence par le ménage des lieux : tout doit être récuré après le passage des hommes. De la javel n’y suffirait pas. Il paraît que la non-mariée Myriam est tombée enceinte en s’asseyant dans le coin des hommes qui s’y soulagent. N’est-il pas vrai que les hommes sont des « ventres avec une bite » ? D’ailleurs, Fatima, la masseuse en chef peut en témoigner : son mari l’oblige à… Myriam pénètre dans le hammam, demande l’asile, prête à accoucher et à être assassinée par un frère vengeur. Les frères, les maris doivent laver leur honneur sur les femmes. Fatima va cacher Myriam pour lui éviter les foudres de ces hommes. Neuf femmes d’âge et de conditions diverses vont entrer et se dévoiler pour se mettre à nu, se laver et se livrer. Elles ôtent le voile et se dévoilent dans l’intimité humide du hammam. Neuf histoires différentes pour l’histoire d’une Algérie moderne et corrompue entre pouvoir et religion. Les modernes, les mécréantes vont côtoyer les islamistes et les rétrogrades. Les langues se délient, les esprits s’échauffent et les destins se découvrent avec pour toile de fond les violences politiques, sociales et physiques. Myriam va bientôt accoucher et les femmes décident de sortir du hammam, solidaires et protectrices. A la sortie, les hommes les attendent et une balle siffle. Tout se termine comme le tres de mayo de Goya : dans le sang, léger et grave.

Léger et grave comme le corps des femmes

Le thème est grave mais les instants de grâce et d’humour égaient le texte. Rayhana est la dramaturge à l’origine de cette pièce dont les premières ébauches ont vu le jour en 2004 sous le titre Hammam de Femmes. Cette artiste, née à Bab el Oued, quartier populaire d’Alger, a décidé de s’installer en France et d’écrire une première pièce en langue française : A mon âge, je me cache encore pour fumer. La mise en scène de Fabian Chappuis, est épurée et moderne : le décor se fait oublier au profit des corps et des âmes. La liberté de mouvement est assurée par les choix minimalistes. Les tissus ornent le plateau pour dissimuler les corps et nous laisser entrer dans l’intimité de ces femmes. Nous sommes spectateurs mais en aucun cas voyeurs car nous vivons leur calvaire. L’atmosphère et les senteurs orientales se diffusent dans toute la salle au vue des gestes simples et quotidiens de ces femmes. Les neuf comédiennes s’impliquent pleinement et jouent chacune une partition bien rythmée. L’originalité et la bonne idée de ne pas s’obliger à faire jouer des artistes obligatoirement maghrébines, tendent à montrer l’universalité du propos. Ce qui se joue ici à Alger se « joue » hélas dans notre propre patrie, au cœur de la ville des Lumières. Inutile de rappeler l’atroce comportement de « barbus » pour museler la dramaturge, en décembre 2009. Inutile de rappeler les brûlures à l’acide infligées par des hommes (en sont-ils encore ?) aux femmes libres qui les éconduisent dans les banlieues. Inutile de s’inquiéter du nombre peu important d’hommes dans la salle ? Puisque l’horreur est humaine, aux armes (intellectuelles) citoyens, formez vos bataillons pour soutenir nos citoyennes.

A mon âge, je me cache encore pour fumer
De : Rayhana
Mise en scène : Fabian Chappuis,
Avec : Marie Augereau, Géraldine Azouélos, Paula Brunet Sancho, Elisabeth Ventura, Rébecca Finet, Catherine Giron, Maria Laborit, Taïdir Ouazine, Rayhana, avec la participation de Frédéric Meille et les voix de Benjamin Penamaria et Eric Wolfer
Scénographie : Fabian Chappuis
Assistante à la mise en scène : Stéphanie Labbé
Lumières : Franck Michallet
Vidéo : Bastien Capela
Son : Pierre Husson
Musique : Arve Henriksen et Gaâda Diwane de Béchar
Costumes : Rayhana assistée d’Edouard Funk
Conseil chorégraphique : Serge Ricci
Administrateur compagnie : François Nouel

Du 21 au 26 septembre 2010
Dans le cadre du festival
Un Automne à Tisser

Théâtre de l’Epée de Bois – Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre, Paris 12e
M° Château de Vincennes, puis Bus 112, arrêt Cartoucherie — Réservations 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com

Reprise du 10 janvier au 19 février 2012
Théâtre 13 / Seine
30 rue du Chevaleret, Paris 13e
M° Bibliothèque F. Mitterrand — Réservations 01 45 88 62 22
www.theatre13.com


Voir aussi :
L’article de Bruno Deslot

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