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A la marge, texte et mise en scène de Tomohiro Maekawa, à La Maison de la Culture du Japon, Festival d’Automne à Paris  

Nov 24, 2022 | Commentaires fermés sur A la marge, texte et mise en scène de Tomohiro Maekawa, à La Maison de la Culture du Japon, Festival d’Automne à Paris  

 

© Jean Couturier

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

A la marge, ce sont les retrouvailles par hasard d’un homme et d’une femme dans un café d’une petite ville sans charme et sans attrait. Au fil de la discussion puis des confidences, ces deux-là témoignent qu’ils ont vécu d’étranges expériences, les confrontant soudain à l’inconnu. Réception d’un colis contenant le néant et qui finit tel un trou noir par absorber progressivement votre vie pour elle… Découverte fortuite et recherche des « interstices de la matières » ouvrant de nouvelles perspectives pour lui… « Comment affirmer que cela ne puisse pas se produire ? » répond Teradomari devant l’incrédulité et le déni de ses proches.  Alors qu’une masse noire lentement recouvre la ville, qu’un son étrange parfois impose le silence, l’appréhension et bientôt l’acceptation du mystère non résolu se fait révélation soudaine pour Mei et Teradomari.

L’auteur et metteur en scène japonais Tomohiro Maekawa signe une étrange création, complexe et métaphysique, philosophique, critique abrasive d’une société japonaise incapable de composer avec l’inattendue. Œuvre fascinante qui peut se résumer en cette assertion, du chaos, du néant naît l’imagination, peut surgir la création. Et la liberté absolue. Mei et Teradomari, devant l’inexplicable se réinventent, se libèrent des carcans d’une société « douce et surprotectrice », incapable de composer avec ce qu’elle ne maîtrise pas, jusqu’au refus de la différence. Dans le huis-clos de ce café, métaphore d’un monde fermé sur lui-même, confronté à un extérieur de plus en plus étrange, menaçant, où les regards des clients sur les deux protagonistes portent un jugement terrible et définitif, sourd lentement un malaise avant une résolution spectaculaire… d’une grande simplicité dramaturgique. Et nous n’en dirons pas plus. Le fantastique, c’est le temps de l’hésitation et de la confrontation avec un évènement incompréhensible. C’est ce temps-là, cet entre-deux singulier et malaisant, que Tomohiro Maekawa met en scène avec beaucoup d’habilité et d’économie. Aucun effet spectaculaire, aucune précipitation, une marche lente vers une résolution stupéfiante, mais une parole fébrile et réfléchie qui énonce et questionne des faits des plus étranges et leur reconstitutions, avec trois fois rien, joués par les clients du café, incarnant les proches, exprimant leur incrédulité et inquiétude devant un comportement à leurs yeux irrationnel. Et c’est de ce frottement là, pendulaire, entre deux paroles contradictoires et irréconciliables, l’acceptation ou le déni des évènements, que sourd le fantastique dans une atmosphère de suspicion et de rejet. C’est cette parole mise en doute et affirmée tout à la fois qui est mise en scène, sans précipitation aucune et jusqu’à un point de bascule irréversible, porté haut par deux acteurs, Junpei Yasui et Nobue Iketani, qui ne peinent pas à (nous) convaincre de leur certitude de ce qu’ils ont vécu de singulier, d’étrange, ni de leur obstination à accepter l’inconnu qui bientôt les emportera, ce pas de côté définitif. Le metteur en scène n’en fait pas des héros mais des personnages au quotidien sans aspérité et banal soudain confrontés à quelque chose qui les dépasse et métamorphose, bouscule leurs certitudes et repense leur relations aux autres. Dans cette expérience troublante il trouve la réponse à leur mal-être existentiel quotidien, une prise de conscience de leur contingence, une clef vers la liberté. C’est d’ailleurs une des forces de cette mise en scène d’ancrer volontairement tout ça dans une réalité des plus morne, et que chacun de l’entourage de nos deux protagoniste s’obstine à préserver, dans un faux-semblant, une cécité volontaire et désespérante. Ni cette masse noire qui approche, ni ce grondement récurrent, dont nous n’aurons jamais d’explication, en apparence ne les inquiète, ne peut les inquiéter. A la marge est une métaphore qu’aussi bien le séisme de 2001 que la COVID de ses deux dernières années, de leurs conséquences, illustre aujourd’hui cruellement. A cette force d’inertie, cette incapacité d’une société à appréhender l’inexplicable, à le refuser, oublieuse des leçons des catastrophes, que reste il d’autre à ceux qui refuse le déterminisme que l’imaginaire fécond au risque de la perte ? Tomohiro Maekawa, artiste assurément, porte un regard critique et politique sur la société japonaise non dénué de poésie et d’humour, il faut aussi le souligner. C’est une création originale à découvrir pour cet auteur et metteur en scène, une belle et forte découverte, mais aussi pour cette ouverture sur la société japonaise et de ses problématiques souterraines, loin de tout folklore.

 

© Pierre Grobois

 

A la marge, texte et mise en scène de Tomohiro Maekawa

Avec : Junpei Yasui, Nobue Iketani, Shinya Hamada, Ryuji Mori, Soh Morishita, Sho Yakumaru, Ellie Toyota, Midori Shimizu, Ryohei Maki

 

Assistant dramaturgie et régie générale : Takumi Tanizawa

Lumières : Kei Sato

Scénographie : Kenichi Toki

Musique : Shuhei Kamimura

Son : Takuhei Aoki

Costumes : Azusa Immamura

Maquillage et coiffures : Naoko Nishikawa

Mise en espace : Naomi Shimotsukasa

Accessoires : Asako Watanabe

Régie lumière : Yuriko Misoguchi

Régie son : Kozue Ogawa

 

Du 22 au 26 novembre 2022 à 20 h

 

Maison de la Culture du Japon à Paris

101bis quai Jacques Chirac

75015 Paris

 

Réservations :

Mcjp : 01 44 37 95 95

www.mcjp.fr

Festival d’automne : 01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

 

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