© Maurício Pokemon
ƒƒƒ article de Ducrot Numina
Nous sommes accueillis en un silence cérémonial. Des hommes et des femmes sont dispersés dans les angles de la salle. Des corps nus, traversés de spasmes. Les pas se font petits, nous entrons comme des organismes étrangers, nous comprenons que quelque chose d’important se produit, quelque chose qui nous échappe encore. Les danseurs épousent le rythme du mouvement des cloches qui sont attachées au plafond. La lumière, intense, ne cache pas la nudité, elle met en valeur, accentue les angles. Chacun s’assied sagement contre les murs, de peur d’enfreindre une règle collectivement établie : ne pas toucher au foyer fait de bois qui jalonne la pièce.
Et soudain une musique apparaît. Les chairs se mettent à bouger plus frénétiquement cette fois, et se retrouvent comme happées vers l’une des niches. À ce moment nous devenons témoins d’une véritable bacchanale. Les danseurs sont pris de fortes pulsions mêlant danse et transe. Le regard du public d’abord crispé fini par s’apaiser.
Il s’agit en réalité d’une hétérotopie, celle-là même citée par Foucault. Le lieu représenté, amené par la danse, ne peut être défini, il saurait en contenir mille autres à la fois. Il n’existe pas, ou plutôt il existe sous toutes les formes possibles. Tous les imaginaires s’entremêlent, les mouvements si particuliers, le rythme et les aspects organiques (sueur qui gicle, corps rougis par des gestes à répétition) nous rappellent à chaque instant qu’il est créé et construit en direct.
Le corps devient autosuffisant par sa seule présence. Il n’est dicté et dirigé que par pulsions maladroites, l’intellect n’intervient à aucun moment. Tout devient plus pur et sincère. Cela nous renvoie à notre propre corps, à l’image sociétale à laquelle il est forcement rattaché. Il apparaît comme notre empreinte culturelle, notre tombeau. En assistant à cette représentation nous avons la chance d’observer au plus près et avec beaucoup de bienveillance, à l’effeuillage des codes sociaux dans lesquels les corps peuvent être enfermés. Les mouvements et les gestes apparaissent comme un nouveau langage visuel, pour le conscient fait de mots insaisissables et complètement limpides pour le sensoriel.
Le temps s’étire et se rétracte, les gestes se répètent, la musique également. Aucune indication temporelle n’est donnée. Les spectateurs se laissent envoûter, certains se surprennent à taper le rythme. Et puis l’harmonie, l’osmose prennent fin et les danseurs, en une procession finale nous laissent avec toute sorte de souvenirs et de sensations indescriptibles, impalpables.
© Maurício Pokemon
A Invençao da Maldade, mise en scène par Marcelo Evelin
Avec Matteo Bifulco, Elliot Dehaspe, Maja Grzeczka, Bruno Moreno, Marcio Nonato, Rosângela Sulidade, Sho Takiguchi
Conception et chorégraphie Marcelo Evelin
Dramaturgie Carolina Mendonça,
Son, Sho Takiguchi
Réalisation des cloches en céramique Yu Kanai
Recherche philosophique Jonas Schnor
Collaboration Christine Greiner, Loes Van der Pligt
Photographie et vidéo Mauricio Pokemon
Remerciements Amanda Pina
Spectacle créé le 5 avril 2019 au CAMPO arte contemporanea (Teresina)
Du 15 au 18 Octobre 2019
Centre National de la Danse
1 Rue Victor Hugo
93507 Pantin
Réservation 01 41 83 27 27
www.cnd.fr
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