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Le Syndrome de Cassandre, de Yann Frisch, au 104

Déc 21, 2017 | Commentaires fermés sur Le Syndrome de Cassandre, de Yann Frisch, au 104

© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

 

C’est un clown mal embouché, irascible, susceptible. Nez, cheveux et barbes gris, engoncé dans un vaste manteau noir, il erre, tourne en rond, sur un plateau plongé dans l’ombre qu’un bouquet de fleurs peine à égayer. Il sait tout faire, jongler, chanter, improviser avec trois fois rien, des histoires sordides où broc et tasse content des histoires de maltraitance. Il ne manque rien à la panoplie du clown, entre chutes, horions, numéros superbement ratés, subtiles illusions, poésie et absurde. Mais là, tout est grave, sombre. Humour noir et corrosif, peu à peu Yann Frisch nous fait basculer dans l’horreur, le trash, et la tragédie. Ce clown-là n’est pas pour les petits enfants. C’est un cauchemar pour adulte. On rit mais bientôt le rire se fige, se retourne contre nous. Car ce clochard orphelin, abîmé de solitude, que nous croyons manipuler, puisqu’il se livre à toutes nos demandes dans une séquence affolante d’apparitions et disparitions d’objets incongrus et farfelus surgis de nulle part, d’un cochon musicien à un balai danseur, a plus d’un tour dans son vaste manteau. Peu à peu, nous sommes entraînés dans un jeu pervers, manipulés à notre tour, à la merci de ce clown qui fait monter les enchères jusqu’au drame. Pointe du doigt notre insensibilité, nos rires imbéciles devant son cynisme et notre aveuglement de voyeur. Condamner à faire rire, à perpète, jusqu’où peut-on aller, jusqu’où doit-on aller ? Jusqu’à se mettre nu ? La tragédie de ce clown, c’est qu’au fond personne ne le croit. Tel Cassandre dont nul n’entendait les prophéties, ce clown amer aimerait qu’on le prenne au sérieux, jusqu’à affirmer que la magie n’existe pas, à prouver que tout n’est qu’illusion. Raté. Alors pour son dernier tour de piste et de magie, s’exécuter à la demande et sous le rire du public n’est plus un vain mot. « Ouvrez donc les lumières puisque le clown est mort et vous applaudissez, admirez son effort »*

Cette création de Yann Frisch, champion du monde de magie, et son complice Raphaël Navarro est une pure merveille de noirceur. Entre cirque, illusion, théâtre d’objets, lesquels sont doués d’une vie propre et insolente, c’est un univers à part, hors-norme, un monde singulier où le trash le dispute à la poésie. C’est beau et c’est terrifiant. Yann Frisch est vertigineux dans la manipulation aussi bien du public que des objets. Surtout il fait glisser la magie d’un aimable divertissement à quelque chose de bien plus profond, par une vraie théâtralité, qui touche ici à l’inconscient, à nos peurs primaires, ces restes d’enfances qui vous colle et dont on ne se débarrasse jamais tout à fait. Se jouant des tabous les plus noirs qu’il met en scène avec brio et crûment, que l’illusion ne masque pas, au contraire, c’est le tragique de l’existence qu’il fait apparaître comme on sort un lapin de son chapeau.

*Giani Esposito, Le Clown

 

 

Le Syndrome de Cassandre Ecriture, interprétation, conception magie Yann Frisch

Co-écriture, conception magie  Raphaël Navarro
Dramaturgie  Valentine Losseau
Création lumière Elsa Revol
Regard extérieur Clown  Johan Lescop
Construction marionnette  Johanna Elhert, Bernard Painchault

Du 21 au 28 décembre 2017, 20h

Le 104
5 rue Curial
75018 Paris

Réservations 01 53 35 50 00

billetterie.104.fr

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