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7 Deaths of Maria Callas, conception Marina Abramović, Opéra National de Paris

Sep 08, 2021 | Commentaires fermés sur 7 Deaths of Maria Callas, conception Marina Abramović, Opéra National de Paris

 

© Charles Duprat / OnP

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La mort est ce royaume où trône en majesté Marina Abramović.

Mais qu’est-ce que la présence quand il s’agit de représenter l’absence ? Qu’est-ce qu’être vivant sur une scène, comment atteindre à l’expérience vitale, quand c’est la mort que l’on souhaite figurer ? De ces paradoxes insolubles, inextricables, se nourrit profondément 7 Deaths of Maria Callas conçu et réalisé par Marina Abramović. Artiste et performeuse célébrée dans le monde entier pour des œuvres radicalement ancrées dans l’ici et le maintenant du corps et de l’esprit, elle n’a cessé de travailler à sonder leurs limites. Et l’on pense notamment à The Artist Is Present (MoMA, 2010).

7 Deaths of Maria Callas serait-il le cheval de Troie de cet art nouveau infiltrant cette forme plus ancienne et académique qu’est l’opéra ?

Sur la scène de l’Opéra Garnier, alors qu’elle repose de ce dernier sommeil, immobile, yeux clos, belle au bois dormant, sur ce lit dont le bois est tel un éperon planté dans le regard, les tragiques héroïnes des opéras de Puccini, Verdi, Bizet, Donizetti et Bellini, à savoir Violetta, Tosca, Desdemona, Cio-Cio-San, Carmen, Lucia, Norma, se succèderont à son chevet, tel un manège, livrant chacune par un unique air la quintessence de leur être, avant qu’elle ne se lève finalement elle-même et, pour une dernière visite, évolue dans un décor reconstituant l’appartement que Maria Callas occupa avenue Georges Mandel à Paris et où elle mourut le 16 septembre 1977.

La mort est cette ultime performance dont aucun ne revient pour saluer. Cet horizon indépassable de l’art performatif quand bien même il lutte pied à pied pour substituer à la représentation l’expérience vécue. Avec 7 Deaths of Maria Callas, la mort n’est pourtant pas une toile de fond, ni le destin obligé d’une héroïne d’un ouvrage lyrique du XIXème siècle, non, elle est ici le point de départ, elle est le point de vue habituellement aveugle où l’esprit peut prendre du recul, et se retourner, comme un gant.

Si notre soirée à l’Opéra de Paris a des allures de veillée funèbre, le projet conçu par Marina Abramović autour de Maria Callas est surtout le lieu et le temps d’un cheminement de la pensée et de la conscience. J’ose l’écrire : 7 Deaths of Maria Callas peut s’apprécier comme une near death experience. Avec la brièveté et la clarté d’un haïku, le livret de Petter Skavlan et Marina Abramović porté par la voix caverneuse et veloutée de cette dernière distille à chaque intermezzo la moelle poétique des figures féminines qui furent interprétées par Maria Callas ; accompagné par les troublantes compositions musicales de Marco Nikodijević, le livret produit cette sensation d’apesanteur, et coud du fil de la pleine conscience l’étoffe d’un temps égal, rythmé par les arias comme autant de puissantes vagues de pur affect lyrique s’échouant sur la crête de l’existence.

Par son affranchissement de toute narration, par sa scénographie principalement composée de films vidéos formant d’immenses tableaux couvrant la totalité de l’ouverture du plateau, réduisant les interprètes à des miniatures incrustées, par la solitude des chants s’élevant comme des ruines évanescentes, 7 Deaths of Maria Callas se libère des contingences du divertissement, scinde le corps et l’esprit pour mieux les réconcilier. Il y a dans cet opéra comme un écho lointain du Tristan et Isolde mis en scène par Peter Sellars avec les vidéos de Bill Viola.

Bien sûr, le dispositif dramaturgique condense les mises à mort de toutes ces figures féminines, et mises ainsi bout à bout, leur répétition fait d’autant plus ressortir la structure patriarcale qui les a produites. Pour autant, ce lieu commun de l’opéra jusqu’à la caricature, Marina Abramović n’en fait pas son fer de lance, et reste éloignée de l’activisme féministe d’une Phia Ménard, par exemple, ou encore du dernier film de Leos Carax, Annette (Adam Driver, reprochant à Marion Cotillard, chanteuse lyrique, qu’elle ne fait que mourir, mourir et encore mourir, puis saluer, finit par la tuer).

Dans chacune des vidéos projetées, Marina Abramović, telle Cindy Sherman, apparaît, tour à tour, phtisique, toréador, chutant d’une tour de New York, étouffée par des boas, folle devant miroirs et psychés… et s’offre au sacrifice à sept reprises. La dimension monumentale, le ralenti, exacerbent l’expressionnisme des images. Il y a de la monstruosité dans chacune de ces apparitions, il y a un trop plein, un débordement, comme le narcissisme dont se nourrit l’incarnation de chacune de ces figures. Comme l’exhibition de la face cachée et maladive d’une diva.

Mais aussi, plus cruellement, comme un miroir grossissant les effets de l’âge, dans une sorte de vanité où c’est le corps vieillissant de l’actrice Marina Abramović qui signalerait le processus de la mort en cours.

A la croisée de l’opéra, de la performance et de l’installation vidéo, 7 Deaths of Maria Callas est sans conteste une œuvre complexe et puissante, étrangement vivifiante pour l’esprit, et pareille à un livre de Lewis Carroll, nous invite à plonger derrière les apparences dans le trou d’une mort annoncée.

 

© Charles Duprat / OnP

 

 

7 Deaths of Maria Callas, de Marina Abramović

Musique : Marko Nikodijević

Scènes d’opéras : Vincenzo Bellini, Georges Bizet, Gaetano Donizetti, Giacomo Puccini, Giuseppe Verdi

Livret : Petter Skavlan, Marina Abramović

Direction musicale : Yoel Gamzou

Mise en scène, décors : Marina Abramović

Co-mise en scène : Lynsey Peisinger

Collaboration aux décors : Anna Schöttl

Costumes : Riccardo Tisci

Réalisation film : Nabil Elderkin

Vidéo intermezzos : Marco Brambilla

Design sonore : Luka Kozlovacki

Lumières : Urs Schönebaum

Dramaturgie : Benedikt Stampfli

Chef de chœur : Alessandro Di Stefano

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

 

Avec :

Actrice film et performance : Marina Abramović

Acteur Film : Willem Dafoe

Violetta Valéry : Hera Hyesang Park

Floria Tosca : Selene Zanetti

Desdemona : Leah Hawkins

Cio-Cio-San : Gabriella Reyes

Carmen : Adèle Charvet

Lucia Ashton : Adela Zaharia

Norma : Lauren Fagan

 

Durée : 1 h 30 environ

Du 01 au 04 septembre 2021 à 20 h

 

Opéra de Paris – Palais Garnier

Place de l’Opéra

75009 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

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