À l'affiche, Critiques // 4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène de Sara Llorca et Charles Vitez, Théâtre de l’Aquarium / La Cartoucherie

4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène de Sara Llorca et Charles Vitez, Théâtre de l’Aquarium / La Cartoucherie

Fév 06, 2016 | Commentaires fermés sur 4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène de Sara Llorca et Charles Vitez, Théâtre de l’Aquarium / La Cartoucherie

ƒƒ article de Denis sanglard

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© Adrien Berthet

On a vu des mises en scène de 4.48 Psychose de Sarah Kane bien plus ardues et rauques. Plus radicales aussi. De cet ultime texte abrasif et fascinant avant son suicide, pour certains, testamentaire, expression d’une souffrance béante, moteur de son écriture, 24 tableaux qui mettent à nu une pensée chaotique, hermétique, expression d’une poésie violente et exacerbée, il est difficile de s’en approcher sans un parti pris, un questionnement  tout aussi radical. Sara Llorca et Charles Vitez prennent un contre-pied original. Loin de toutes fureurs, de tensions franches, ils optent pour une douceur étonnante, une sensualité même qui tranche. Ils sont cinq sur le plateau. Elle, celle qui parle, et lui, son ombre-double, son âme noire dansante. Le médecin avec lequel elle dialogue, celui qui pose des questions, rassure et perd pied. Et deux musiciens qui habitent, habillent les silences, soulignent l’errance, osent aussi le silence. Quand la parole échoue, bégaie, la danse prend le relais, jusqu’à la transe. Une danse qui creuse, fouille et fouaille un peu plus le personnage. Le contredit, l’affermit. L’étreint aussi. Une partition en creux qui prend le relais devant l’échec du dire, de l’aveu, du médical… Le corps dénonce les non-dits, l’impossibilité de dire, ce qui est tu. Etrange partition que ce dialogue, de soi à soi, de soi à l’autre, de soi à nous, ce balancement d’un état l’autre, ce frottement tendu et lancinant qui laisse ce personnage exsangue mais comme exorcisé et serein. Mais rien, jamais qui ne verse dans l’outrance. C’est d’ailleurs dans le dernier tiers de cette création que toute la force de ce texte, son ampleur et sa radicalité, nous parvient. Elle, simplement assise sur une chaise, soudainement, étrangement apaisée, nous adresse directement le texte. Et c’est bouleversant car véritablement à nu, à l’os, débarrassé de toute intention, dépouillé de tout apparat de mise en scène. Comme s’il fallait tout effacer, tout anéantir pour atteindre enfin une vérité, fragile, derrière cet amas de souffrance, ces écorchures jetées en pâture. Jusqu’à cette dernière phrase énigmatique « S’il vous plait levez le rideau ».

Elle, c’est Sara Llorca. Une voix habitée d’un corps mouvant, changeant. Corps traqué, tendu, parfois en transe, toujours habité, que dément une voix douce et sans colère vraiment. Le mal-être, mal de vie et mal d’amour, inscrit profondément dans ce corps fragile et dément que saisit et exorcise dans un pas de deux, un corps à corps troublant, son ombre double, Delavallet Bidiefono. Danseur d’une sensualité qui confère à celle qui parle une humanité troublante, lui rend une féminité souvent oubliée, un profil insoupçonné que veut démentir obstinément une parole chaotique dans cet univers carcéral et psychiatrique que souligne une scénographie glaçante, de simples chaises métalliques vides formant cercle et qui souligne l’absence, le vide. La danse comme une pulsion de vie quand la parole crache, implore la mort. C’est ce contraste là que la mise en scène explore. Ca déborde un peu parfois, n’évite pas parfois mais rarement la démonstration mais qu’importe. Oublieux sans doute volontairement et avec raison de son geste ultime, la mise en scène ramène Sarah Kane sur la rive où souvent nous l’oublions. Celle des vivants malgré tout. « Rien qu’un mot sur une page et le théâtre est là. » Et le théâtre et la vie – qui peut le démentir ici ?-  c’est du pareil au même. Sara Llorca et Charles Vitez ont ouvert le rideau.

4.48 Psychose de Sarah Kane
Traduction de Evelyne Pieiller  ( L’Arche Editeur)
Mise en scène et scènographie de Sara Llorca et Charles Vitez
Chorégraphie de Delavallet Bidiefono
Musique Benoît Lugué et Mathieu Blardone
Costumes Emmanuelle Thomas
Lumière Léo Thévenon
avec Delavallet Bidiefono, Mathieu Bladorne, Sara Llorca, Benoït Lugué, Antonin Meyer Esquerré

du 2 au 21 février 2016
du mardi au samedi à 19h / Le dimanche à 17h

Théâtre de L’Aquarium /La Cartoucherie
route du champs de Manoeuvre
75012 Paris
réservations : 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com

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