© David Ruano
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Quand un hommage au théâtre, au cinéma, à la littérature vous donne une telle émotion, une telle joie, on se dit que oui, c’est gagné. Ressortir du théâtre des images plein la tête, des étoiles plein les mirettes, on se dit qu’il y a encore un espace de résistance pour l’imaginaire, la fiction qui de la réalité transfigurée, sans rien cacher de sa violence, vous donne un foutu sentiment de joie de vivre, une pleine conscience du monde comme il va, cahin-caha peut-être, mais qu’importe, demeure « cette passion infinie de la vie » comme le disait le maestro Federico Fellini. Oui, sortir de ce théâtre, là et se sentir vivant. Mais plus encore. La compagnie catalane La Perla 29, s’appuyant sur 8 et demi, le film de Fellini, revisite cette pièce de son répertoire et c’est un bonheur de la découvrir. Ce patchwork de scènes, où s’entremêlent habilement et joyeusement poèmes, danses, jeu et projections, est une étoffe à la trame serrée et sans couture apparente. Un montage d’une sidérante intelligence, un marabout-bout-de-ficelle ludique et sérieux à la fois, un emboitement gigogne, un jeu de miroir sans tain où se reflètent illusion et faux-semblant, mensonge et vérité. Et Le plaisir absolu du jeu. Et ces questions aux réponses non résolues : de quoi la création est le signe, le symptôme, qu’elle en est le sens profond ? Et de ses créateurs, ses artisans de l’image, réalisateurs, metteurs en scènes, comédiens, qu’est ce qui les anime au plus profond d’eux ? Quels sont leurs affres, leurs interrogations, leurs doutes ? Et le bonheur ?
Sur ce vaste plateau avec pour horizon lointain un ciel peint, de ceux qu’affectionnait Fellini, on songe de suite au premier plan d’Intervista, un ciel en trompe-l’œil plus vrai que le ciel de Rome, c’est un festival, une fête. Et c’est Dante qui ouvre le bal. Virgile ne sera pas notre guide mais c’est bien l’enfer et le paradis que nous allons traverser, celui des passions magnifiées par la littérature, le théâtre, le cinéma. Pirandello, Ettore Scola, Eduardo di Filippo, Shakespeare, Rossellini, Bergman, Visconti, Tchekhov, Wajdi Mouawad et d’autres encore… Ils sont tous là, fantômes pelliculés et de papiers qui hantent par leurs images, leurs textes, notre inconscient collectif. Scènes cultes projetées sur écran, parfois quelques images fugitives, et l’on se refait à nous seuls le film en son entier. Et ça vous tourneboule, parce que les émotions affleurent, vous remontent sans crier gare. Quelques notes entêtantes de Nino Rota suffisent ainsi pour vous embarquer fissa dans un voyage mémoriel et sensoriel. La mort de la Magnani dans Rome Ville ouverte et c’est toute la violence du monde qui s’invite. Quelques silhouettes, juste évoquées par les acteurs et surgit un doux sentiment de familiarité. La Saraghina de 8 et demi, la buraliste accorte d’Amarcord, Zampano de La Strada… Mastroianni évidemment, le double à jamais de Fellini. Victoria Gassman vient faire son petit tour, lui aussi. Là, c’est Sophia Loren, plus loin Claudia Cardinale… Impossible de les citer tous, ceux-là qui sont entrés un jour dans notre vie et font partie de la part la plus intime de notre histoire. L’impression fugace de retrouver des connaissances qu’on avait un peu oublié et qui soudain se rappellent à vous, le souvenir intact et heureux. Il y a donc le cinéma mais aussi le théâtre dans une vertigineuse mise en abyme. Pirandello, Shakespeare, Tchekhov… Avec à chaque fois la même interrogation, de quelle étoffe le théâtre est-il fait ? Que provoque-t-il en nous et surtout chez les acteurs, petits, obscurs ou sans grade qu’importe ? Des doutes, des crises, oui. Mais le sentiment prégnant de quelque chose d’infiniment précieux qui aurait à voir avec la vie, le théâtre du monde comme disait le grand Will. Et bien nous y sommes, là sur ce plateau métamorphosé en formidable imagier où l’on joue, danse et chante, où l’on ne s’étonne guère de voir passer un cheval. Avec, de la part de ses acteurs, si généreux et si talentueux, un appétit visiblement féroce et un bonheur inouï à partager ça, cet art de l’illusion, ce mentir vrai qui qui est plus que la réalité mais contient toute la vérité du monde.
© David Ruano
28 i mig conception, mise en scène et scénographie Oriol Broggi
Adaptation des textes Jéroni Rubio et Oriol Broggi
Avec Laura Aubert Blanch, Guillem Balart, Xavier Boada, Marcia Cistero, Enrico Ianniello, Blai Juanet Sanagustin, Clara Segura Crespo, Montse Vellvehi
Et Joan Garriga, Maria Roch, Marc Serra et un cheval
Lumières Pep Barcons
Costumes Berta Riera
Son Damien Bazin
Vidéo Francesc Isern
Musique originale Joan Garriga
Maquillages et coiffures Angels Salinas
Assistanat à la mise en scène Rita Molina i Vallicrosa
Confection des costumes Elisabet Meoz
Technicien micros Roger Blasco
Répétiteur chants Pablo Puche
Dressage du cheval Equi-Event / Josep Maria Segu
Traduction en français et régie des surtitres Alba Pagan
Montage des surtitres Ester Nadal
Du 16 mars au 10 avril 2022
Du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30
Théâtre de la Colline
Rue Malte-Brun
74020 Paris
Réservations 01 44 62 52 52
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