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Critique ・ Fauna de Romina Paula, mise en scène de Romina Paula, Théâtre de la Bastille

Déc 09, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ Fauna de Romina Paula, mise en scène de Romina Paula, Théâtre de la Bastille

Critique Anna Grahm

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©Sebastian Arpesella

« L’œil est la caméra » Romina Paula

Une jeune actrice et son réalisateur voudraient raconter l’histoire d’une auteure de la fin du XIXème siècle. Pour mieux connaître et écrire sur cette figure mythique, ils retournent là où elle a vécu, afin d’interroger ses proches. Les témoignages qu’ils recueillent sont ténus, des anecdotes qui parfois se contredisent, dans tous les cas, les déstabilisent. Car cette femme est un drôle de zèbre, qui a eu du cran, et n’a eu de cesse de brouiller les cartes sur ce qu’elle était en réalité. Car cette femme a plusieurs identités. Car elle n’est pas toujours restée elle mais est devenu il. Plus ils tentent de comprendre, plus tout ce qu’elle est leur échappe. Comme elle a jadis échappé à sonrôle de femme. Chaque fois qu’ils plongent dans le passé, chaque fois qu’ils croient tenir quelque chose, ils réalisent que ce n’est presque rien. Ils pataugent, se disputent. Tout ce qu’ils découvrent les perturbe, les perd, nous perd tout autant qu’eux. Car tout ce qu’on leur déclare, tout ce qu’on leur dévoile, que l’on ne saisit pas toujours, finit par repositionner les rapports qu’ils avaient établis entre eux. Tous ceux qui ont connus Fauna, prétendent qu’elle s’habillait en homme, et qu’elle lisait tout ce qu’il lui passait sous la main. Pourtant dans sa chambre, nulle trace de cette information. Était-elle erronée ? Pour mieux habiter le personnage, la jeune actrice troque son short pour les vêtements de Fauna, histoire dit-elle de « s’acclimater ». Mais son style garçon manqué ne suffit pas à traduire la femme qu’ils aimeraient représenter. Cette mémoire, que les enfants de cette femme nous ouvrent, est pleine de trous, d’impasses, plutôt que d’offrir un nouveau regard, n’aide pas à sa représentation, ralentit l’écriture du film. Et cet empilement de petits récits, cette accumulation de détails enlisent le travail qu’ils étaient venus faire.

Au fil des scènes qu’ils tentent d’inventer, les deux artistes butent sur les manques qu’ils rencontrent, les amnésies qui se répètent. Pourtant ils cherchent l’un avec l’autre, l’un contre l’autre, parfois même l’un sans l’autre. Ils cherchent ce qu’il convient de montrer, ils questionnent ce qui est vraisemblable, ce que le cinéma pourrait embellir. Car ce n’est pas « forcément la vérité qui compte » mais plutôt de savoir ce qu’ils vont en faire. Faire un film sur cette femme c’est aussi se demander Qu’est-ce qu’une femme, voir ce qu’elle a fait c’est aussi « Qu’est-ce qui fait une femme ». Est-elle « une surface sexuelle » sur laquelle projeter son désir, que faire de cette anti séduction, était-ce une démarche honnête, était-elle une usurpatrice. Qui sont-ils eux.

Fauna est une pièce exigeante qui traverse la question du genre, elle est moins l’histoire d’une femme qui a existé, qu’une exploration du féminin dans le masculin et du féminin dans tout le genre humain. C’est un peu la dénonciation du dénigrement constant de la parole féminine, c’est aussi le constat de la discrimination, de l’infériorisation qui tend à perdurer. De la méfiance et du mépris. Et d’une certaine condescendance. Fauna renvoie à toutes ces femmes qui se battent pour leur liberté. Impossible de ne pas penser à toutes ces Georges Sand, aux garçonnes des années folles, et à toutes ces femmes d’aujourd’hui, qui sont, soit des brindilles affamées à la Kate Moss, soit des filles qui, pour échapper à la « réputation de pute » vont se désexualiser. Toutes ces filles qui pour faire front au machisme, pour s’exclure de l’emprise des grands frères choisissent d’abandonner jupes et chignons pour prendre des attitudes viriles et parler un langage châtié. Toutes ces filles, qui, pour ne pas se laisser dominer, se conforment au modèle masculin pour gagner en respectabilité.

Fauna balaie un peu tout cela aussi. Alors je vous dirais bien que cela manque de jeu entre les protagonistes, qu’on est désarçonné par ce type de théâtre, que c’est la faute des surtitres que l’on ne peut pas tout comprendre. Mais ce qui se joue – pas toujours très bien, il faut en convenir – ce qui se joue sur ce plancher nu, c’est toute la question des femmes.

Fauna est un texte âpre, à l’instar de l’évolution de l’émancipation, un texte comme son décor, austère et inégal. Mais n’est-ce pas là le propre d’une recherche, d’être accidentée et rugueuse. Je vous dirai bien que la logique de Romina Paula est difficile à saisir, mais elle oblige, par sa forme rigoureuse, à repenser notre construction fictionnelle.

Fauna 
de Romina Paula
Avec Esteban Bigliardi, Rafael Ferro, Pilar Gamboa, Susana Pampin
Spectacle surtitré en espagnol

Dans le cadre du festival d’automne
Théâtre de la bastille
76 Rue de la Roquette paris 11
Métro : Bastille
Jusqu’ 21 décembre 2013 à 21h – Dimanche à 17h
Représentations supplémentaires les samedis 14 et 21 à 17h
Relâche les 9 et 15 décembre
Réservation 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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