À l'affiche, Critiques // 1984, d’après George Orwell, mise en scène Sébastien Jeannerot, au Théâtre de Ménilmontant.

1984, d’après George Orwell, mise en scène Sébastien Jeannerot, au Théâtre de Ménilmontant.

Oct 14, 2016 | Commentaires fermés sur 1984, d’après George Orwell, mise en scène Sébastien Jeannerot, au Théâtre de Ménilmontant.

ƒ Article de Victoria Fourel

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© DR

Dans une ère où l’on tâche d’effacer l’être, où la surveillance, la guerre et la conformité sont lois, Winston tient un journal qui l’empêche d’être aspiré par la société de Big Brother, régie par les télécrans. Approché par la rébellion et par l’amour, ce héros invisible traverse 1984, année de la dictature.

Monument du roman d’anticipation, que l’on dit à la fois visionnaire et actuel, l’oeuvre d’Orwell est un formidable outil d’ouverture d’esprit, d’imaginaire et de réflexion. Et nombre de sagas, films et univers de fiction trouvent leur source dans ce livre fondateur, à la fois fourmillant d’idées et vraie démarche de projection d’une société. Au plateau, on est vite confronté au souci de l’adaptation : comment le rendre vivant, ni grandiloquent, ni trop évident, à la fois moderne, mais aussi dans le respect de l’époque de l’écriture ? Même si cette adaptation est plutôt heureuse, on ne peut éviter un côté un peu sentencieux, un peu écrit. Au même titre, comment un roman porté par le discours d’un personnage principal peut-il devenir un spectacle choral, sans que cela soit redondant ? Difficile, surtout dans la première partie du spectacle, de sortir du langage du journal intime, et difficile aussi de faire exister tout un panel de personnages, qui pourtant pourrait être une formidable galerie de caractères plus ridicules, plus fantasques les uns que les autres, et qui pâtissent de cette adaptation. Problème de direction, certainement, qui fait que l’ensemble est juste, assumé et droit, sans pour autant être totalement inventif et convaincant. Par exemple, les scènes de torture, longues et décantées en plusieurs parties ne laissent que peu de place à l’imaginaire et à l’interprétation, rendant même parfois le tout un peu absurde. Même chose, l’idée d’une nouvelle langue commune, qui restreint le langage au strict minimum de manière à restreindre par la même occasion la pensée elle-même. Celle-ci est parfaitement restituée par un personnage soumis au parti et convaincu de la beauté de la démarche. Mais la scène, qui part pourtant très bien, s’embourbe un peu car trop longue, et servie par un comédien qui, embarqué par son personnage, en perd son articulation. Et nous, nous en perdons la compréhension.

Sur scène, on est dans l’oppression, très justement rendue par de belles lumières. Des régisseurs plateau masqués font et défont les espaces, et semblent manipuler les personnages principaux, comme le fait la société, le parti. Tout part des écrans : ceux que chacun a chez soi, ceux qui nous racontent 1984. De très intelligentes structures protéiformes sont à la fois les décors et les écrans, ajoutant au style froid et vif de la mise en scène. Mais là se présente la question de la sur-utilisation du multimédia. Plus on place de vidéo dans un spectacle, et plus les chances de passages passables sont grandes. S’il y a de beaux moments, on ne peut nier que certains plans sont un peu longs, et certains intermèdes un peu explicatifs. Il y a même un générique de fin, moment un peu étrange au théâtre. Même chose avec la musique. Il y a une sorte de vrombissement, de bourdonnement intéressants, mais la structure scène-transition musicale est souvent trop linéaire, et surtout le son saturé dont le but est de nous prendre à parti nous laisse sur le carreau tant c’est désagréable pour les oreilles. Plus on utilise de son et de vidéo, donc, et plus on prend le risque de ratés de transition, de passages un peu chaotiques d’une séquence à l’autre. C’est ce qu’il se passe. A certains endroits, en tout cas.

On ne peut qu’apprécier que l’oeuvre d’Orwell rencontre le public d’aujourd’hui. Certains trouvent cela très actuel, dans une société qui flique, qui fiche, et qui vit au travers d’écran. Je me contenterai de trouver cela éclairant. Et si l’on ne passe pas un mauvais moment, face à ces belles idées, l’ensemble un peu long nous empêche de nous laisser captiver, et pourquoi pas transformer par ce goût certain de la liberté.

 
1984
D’après George Orwell
Mise en scène Sébastien Jeannerot
Avec Sébastien Jeannerot, Hélène Foin Coffe, Bernard Senders, Grégory Baud, Matthieu Brouzeng-Lacoustille, Loïc Fieffe, Emilien Audibert, François Mallebay

Du 20 septembre au 22 décembre 2016, du mardi au jeudi à 21h.

Théâtre de Ménilmontant
15, rue du Retrait – 75020 PARIS
Métro Gambetta
Réservation 01 46 36 98 60
www.menilmontant.info

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