ƒƒƒ Critique Denis Sanglard
L’amour à mort
R&J Tragédy ou Roméo et Juliette éviscéré par Jean-Michel Rabeux. Autopsie, dissection sèche d’une passion folle et maudite où Rabeux équarri Shakespeare, fouaille dans les tripes d’une passion maudite. Rabeux a les mains pleine de sang, qu’il plonge aux origines du conte pour les ressortir fumantes. Bandello, Boaistuau, Shakespeare, Rabeux aujourd’hui qui ne garde que quelques bribes, quelques scène essentielles. Comme une mémoire perdue, fragmentaire. Peu de mots, des silences où rodent des corps en attente et qui se flairent. Et des fulgurances verbales inouïes qui vous traversent soudain. Poétiques, triviales, obscènes, lyriques même. C’est du pareil au même. Ejaculation soudaine, brutale, qui vous éclabousse et vous colle à la peau. Eclats de mots qui tombent comme autant de coups, de ceux qui vous caressent et vous font jouir, des phrases qui cognent quand la haine baisse enfin la garde. Des mots de haine aussi, oui. Effilés. De ceux qui glacent et poignardent. La langue est rongée jusqu’à l’os. Mâchée et recrachée en jet puissant et sublime.
Mise à mort
Les amants de Vérone sont les amants de toutes les guerres, d’hier et d’aujourd’hui, de demain. C’est ça qui importe pour Jean-Michel Rabeux. Cette fable là. Plus que Shakespeare. Il y a une urgence absolue de s’aimer au milieu de la haine. Un formidable espoir désespéré. Aussi violent que leur amour, aussi violent que cette haine qui les broie. Cette urgence là transpire par tous les pores. Les corps sont nus, ou quasi, comme souvent chez Rabeux. Dans une proximité physique magnifiquement insoutenable, une arène sanglante où la mise à mort est inéluctable, les spectateurs basculent dans l’horreur. Nous sommes au théâtre, Rabeux nous le rappelle, nous sommes au centre du monde. C’est une histoire édifiante. Ces corps nous sont jetés à la face. Ils témoignent et accusent. Nus. Dans leur fragilité, leur force. Et c’est un autre langage qui se déploie. Les corps se débattent, se battent, baisent, meurent. Bruit mat de la chair heurtée, frappée, respirée, aimée. Ils sont nus comme sont nus les amants et seront les gisants. Comme sont nus les pères et la haine des pères. Comme est nue la haine absurde. Cette nudité c’est encore la mort au travail. La terre noire imbibée de sang colle déjà aux corps ensanglantés. Au balcon Roméo et Juliette se dépouillent de leur vêtements souillés comme on se jette à l’eau, avec audace et pudeur. Où les mots seuls parent les amants. Rien de cru ni d’obscène sauf peut être notre regard.
Théâtre de la cruauté
La mise en scène de Jean-Michel Rabeux est elliptique mais n’élude rien, va droit et vite à l’essentiel. La haine, l’amour, la mort, triptyque tragique foudroyant. La mise en scène est blanche des corps ouverts, noire de la terre qui colle aux corps, rouge du sang projeté. Les acteurs s’offrent à cette cérémonie, cette sauvagerie, sans concession. Roméo (Sylvain Dieuaide) et Juliette (Vimala Pons) sont tout simplement prodigieux qui oscillent de la haine à l’amour, de l’amour à la mort comme deux adolescents émerveillés trop tôt plongés dans un chaos poisseux dont ils tentent de s’extraire. Ils ont l’impudeur rare de l’innocence. Jean Michel Rabeux les cerne, les scrute au plus près, les gratte jusqu‘aux os, les encercle et les jette en pâture dans cette arène, cette cage qui pue le fauve. La circulation même des corps participe de cet encerclement, de cet enfermement, où l’on se tourne autour, se renifle, avant de se jeter dans la bataille, sur le corps de l’autre, de l’égorger ou de le baiser. L’intimité à laquelle nous sommes contraints de par la proximité obligée rend le résultat palpable, sensible, violent. Jean Michel Rabeux explosant le rapport scène/salle amène un salutaire inconfort. Nous ne sommes pas plus en sécurité que ne le sont les acteurs. Lesquels s’offrent sans retenue avec une énergie folle et brute. Nous sommes tout aussi engagés qu’eux qui participons de la même cérémonie, du même rituel barbare. Cette fable c’est la nôtre. La liberté avec laquelle Jean Michel Rabeux s’empare de ce drame, la liberté avec laquelle les acteurs empoignent la mise en scène, leur talent foudroyant, nous laissent sonnés. Nous sommes dans la stupeur et l’effroi. Nous sommes exsangues. Jean-Michel Rabeux redonne au théâtre de la cruauté toute sa vitalité et son sens premier : un formidable chant de vie hurlée, une danse sauvage et vitale.
R&J TRAGEDY
Texte et mise en scène de Jean-Michel Rabeux
D’après Roméo et Juliette de William Shakespeare
Du 11janvier au 29 janvier 2013
Avec Hubertus Biermann, Sylvain Dieuaide, Vanasay Khamphommala, Nicolas martel, Marc Mérigot, Vimala Pons, Laure Wolf
Scénographie: Pierre-André Weitz
Musique: Seb Martel
Lumières: Jean Claude Fonkenel
Son: manuel mazzotti
Assistante mise en scène: Elise Lahouassa
Régie générale: Denis Arlot
MC93 Bobigny
Salle Oleg Efremov
Lundi, vendredi, samedi 20h30 / Mardi 19h30 / Dimanche 15h30
Relâche mercredi et jeudiMétro : ligne M5, terminus Bobigny-Pablo-Picasso + 5 minutes à pied, boulevard Maurice-Thorez. Sortie en tête de train puis à gauche après les portillons (flèchage RATP). Retour : Dernier métro : 0h41 en semaine, 01h41 vendredi et samedi.
Navettes gratuites ! Les vendredis et samedis une navette à destination de Paris est mise à disposition des spectateurs
Réservation 01 41 60 72
www.MC93.com