Critiques // Critique. « Que la noce commence » d’après Horatiu Maele et Adrien Lustig. Mise en scène Didier Bezace

Critique. « Que la noce commence » d’après Horatiu Maele et Adrien Lustig. Mise en scène Didier Bezace

Déc 03, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Que la noce commence » d’après Horatiu Maele et Adrien Lustig. Mise en scène Didier Bezace

ƒƒ Critique d’Anna Grahm

Un village d’irréductibles

Trois journalistes roumains débarquent dans un lieu lugubre à la recherche de « faits étranges ». Le maire leur explique que cette friche industrielle aujourd’hui à l’abandon était « bien des années auparavant, un village que les Soviétiques ont détruit pour bâtir une usine et que bientôt des capitalistes Européens vont reconstruire un autre village… de vacances celui-là ». L’homme se souvient de ses 10 ans.

Flash back. Nous sommes à la fin du printemps 1953. Une simple toile tendue en fond de scène nous offre des champs de blé à perte de vue, et les personnages hauts en couleur du village de son enfance, refont surface. Gouailleurs, grossiers, impétueux et impulsifs, ils font figure d’irréductibles. Deux adolescents fous d’amour font scandale au milieu des épis pour le plaisir de tous. Les pères tonitruants des deux libertins font un tapage de tous les diables pour réussir à s’entendre, une ravissante putain vient se mêler à la discussion animée, un grand-père parkinsonien et une grand-mère sourde cloués à leur banc radotent, des femmes s’occupent de leurs enfants et de donner leur avis, un nain apprend que « l’important est de s’élever ».Il y a la visite d’un cirque et des films de propagande pour penser la réalité d’un monde qui les oublie. Passent quelques communistes pieds nickelés, un doux rêveur qui s’est construit des ailes pour voler avec les oiseaux, repasse un pope régulièrement appelé à la rescousse, s’arque boute au milieu d’eux, un maire un peu dépassé qui a bien du mal à canaliser ses drôles d’administrés.

Il y a de la musique populaire entre chaque tableau, il y a dans chaque tableau un tourbillon de vie, des cris, du rire, il y a un peuple, un morceau d’Histoire, il y a une énergie débonnaire, une folie douce, un chahut de tous les diables. D’emblée l’interprétation des comédiens donne son unité au village, elle fait lien entre eux, ils ont réussi à créer une fraternité, une filiation entre les générations. Tout se passe au café, où l’alcool de prune fait parler et parfois bondir, où la bonne humeur peut laisser place à la bagarre, où l’insouciance joviale est rétive à tout engagement politique, tout se passe comme si rien n’était plus important que d’arrêter une fois pour toute, la date de la noce des deux jeunes tourtereaux.

Mais si les rancunes de deux patriarches s’apaisent enfin, « la noce n’aura pas lieu ». Non. Aucune noce d’aucune sorte pendant le deuil national déclare l’officier russe glacial qui surgit au milieu des spectateurs, car dit-il très doucement,  « pendant une semaine il sera interdit de rire, de boire et de chanter » pour célébrer la mort de Staline.

 Un théâtre indomptable

Cette farce nous vient d’une histoire vraie, elle a inspirée un film à Horatiu Malaele, « les noces silencieuses », cette folle histoire a eu lieu quand l’humanité se trouvait dans « une bizarre et inexplicable somnolence » Elle aurait pu et pourrait toujours avoir lieu n’importe où ailleurs. Étrange résonnance de notre façon de regarder et de laisser faire. Jean-Louis Benoit et Didier Bezace ont réécrit pour le théâtre cette comédie tragique, et leur adaptation nous embarque dans un monde féérique, et nous émeut et nous ramène à notre pays accablé par le pessimisme et nous secoue.

Didier Bezace qui défend une conscience collective s’est entouré de 16 comédiens pour incarner plus de 30 rôles. Il a demandé à sa petite troupe de jouer de grands braillards, bruts de décoffrage, puis de fabriquer du silence. « Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » écrivait Max Frisch en 58. Tout soudain cesse à l’annonce de l’officier, tout se fige, et l’on doit museler les musiciens, effacer les projets, suspendre la joie. Tous sont sidérés, abasourdis, apeurés et si les victuailles sont rangées, et les espoirs déçus, aucun ne renonce à festoyer. La résistance s’organise. Et s’ils s’appliquent à demeurer feutrés, s’ils semblent pleutres et dociles, ils suffoquent du changement de registre, du silence émerge une extraordinaire solidarité paysanne, dans le silence, on s’active. Les ruses des villageois sont enfantines, minimalistes, mais désormais l’imagination a pris le pouvoir. Oui. Entre le silence et la conscience, les villageois vont choisir et leur choix leur sera fatal.

Car l’oppresseur, l’injustice, l’arbitraire et la brutalité fracassent ceux qui jadis jouaient aux mouches. La surpuissance armée si démesurée qu’elle ressemble presque à un conte fantastique, la force de l’image finale nous saisit de stupeur. Voilà ce que nous apprend le narrateur écrasé par le chagrin : quand le petit peuple pacifique a voulu réagir, il ne savait pas qu’il était déjà trop tard.

Que la noce commence
D’après le scénario original Au diable Staline, vive les mariés !
De Horatiu Malaele et Adrien Lustig
Texte et dialogue Jean-Louis benoit et Didier Bezace
Adaptation et mise en scène Didier Bezace
Avec Alexandre Aubry, jean-claude Bolle-Reddat, julien Bouanich, Nicolas Cambon, Arno Chevrier, Sylvie Debrun, Daniel Delabesse, Guillaume Fafiotte, Thierry Gibault, Marcel Goguey, Gabriel Levasseur, Corinne Martin, Paul Minthe, julien Oliveri, Karen Rencurel, Alix Riemer, Lisa Schuster et Agnès Sourdillon
Théâtre de la Commune – Centre dramatique d’Aubervilliers
2 rue Édouard Poisson 93300 Aubervilliers
Métro : Quatre chemins – Navette gratuite du mardi au samedi
Réservation : 01 48 33 16 16Jusqu’au 21 décembre 2012- Mardi et jeudi à 19 h3O Mercredi et vendredi 20 h 3O Samedi à 18 h – Dimanche à 16 H
http://www.theatredelacommune.com/

du 11 au 27 janvier 2013

aux Gémeaux / Sceaux / Scène Nationale

du mer au sam à 20h45, dim à 17h
tarifs de 17€ à 26€ – réservations 01 46 61 36 67 – lesgemeaux.com

 

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