Critiques // 1. Et si demain, Nidal Abdo, collectif Nafass – 2. Jusqu’à L, Akeem H. Ibrahim, Cie Uni’Son – 3. Soyons fous, Salim Mzé Hamadi, Cie Tché-za – à l’Institut du Monde Arabe, Festival Printemps de la danse arabe #1

1. Et si demain, Nidal Abdo, collectif Nafass – 2. Jusqu’à L, Akeem H. Ibrahim, Cie Uni’Son – 3. Soyons fous, Salim Mzé Hamadi, Cie Tché-za – à l’Institut du Monde Arabe, Festival Printemps de la danse arabe #1

Avr 05, 2019 | Commentaires fermés sur 1. Et si demain, Nidal Abdo, collectif Nafass – 2. Jusqu’à L, Akeem H. Ibrahim, Cie Uni’Son – 3. Soyons fous, Salim Mzé Hamadi, Cie Tché-za – à l’Institut du Monde Arabe, Festival Printemps de la danse arabe #1

 

Et si Demain © Mario Jarweh

 

ƒƒ article de Marguerite Papazoglou

Le Festival Printemps de la danse arabe présente jusqu’au 28 juin une programmation éclectique de danseurs et chorégraphes originaires des Maroc, Tunisie, Egypte, Liban, Syrie, Palestine et des Comores. Il s’agit bien d’une occasion parfois exceptionnelle de diffusion de ces artistes, avec des pièces courtes ou longues, dont les conditions de production peuvent différer énormément. A nous d’ouvrir nos yeux, nos cœurs et nos oreilles à des artistes qui peuvent parfois se sentir prisonniers d’un regard projeté sur une lecture réductrice.

Trois compagnies, trois mondes, en cette soirée d’ouverture se déroulant à l’Institut du Monde Arabe, un des sept lieux se partageant la programmation. Nous découvrons des artistes pour qui danser est peut-être un plus grand défi et une action de résistance et de survie à l’obscurantisme et aux difficultés matérielles. Ce qui traverse toutes les pièces c’est un plaisir à danser communicatif : des corps libres comme lieu de jeu, comme acte d’affirmation d’exister et d’accès à une dimension mystique libératrice.

La première courte pièce, Et si demain du collectif Nafass (Souffle, qui n’est pas choisi au hasard), réunit sur scène quatre hommes originaires de Syrie, dont le chorégraphe Nidal Abdo. Ils sont amis et partenaires de danse depuis les années d’avant leur exil. Dans leurs corps, la guerre, latente, et une culture arabo-persane en dialogue avec celle(s) de leurs pays d’accueil d’Europe occidentale. Le titre est en soi porteur du mouvement global de la pièce : une tension vers un avenir-ailleurs et (forcément) une force qui lui est opposée, force gravitationnelle concentrique. Une tension qui recoupe celle, continue, entre chœur et soliste. Une homophonie et une symétrie centrale on ne peut plus primitives — mouvements à l’unisson évoluant dans une orientation circulaire — construisent un chœur puissant qui se pose comme point cardinal de la pièce. De lui un à un ils tentent la sortie : un regard vers le lointain, une mélancolie, une échappée mystique, et toujours le corps collectif ramène le soliste et le berce de son mouvement fluide et perpétuel. Ce corps collectif est aussi soutien, comme ce moment où les gestes de l’un émergent d’une ronde effrénée de course vers l’arrière de tous, où l’urgence nous prend au corps et où l’on ne sait plus s’il s’agit de reculer ou d’atteindre, de rattraper ou de distancer. Le mouvement n’est, à la lettre, ni virtuose ni très novateur mais deux aspects ressortent (et se nourrissent l’un l’autre) : la profondeur de leur danse, véritable communion, célébration du lien entre les hommes et de l’accès à un niveau quasi mystique aux références soufies, et le phrasé finement ciselé sur les mouvements rythmiques du makam de la bande son. Mixés à des drones électroniques graves par Osloob, ils ont choisi les ouds du Trio Joubran, groupe égérie de la Palestine dont la réputation n’est plus à faire, pourquoi s’en priver ? (Et pourquoi ne pas rappeler que ce trio jouera à Paris à la salle Pleyel le 1er avril et à Sète le 4 août prochains ?)

 

Jusqu’à L © Jérémy Langlois

 

La deuxième pièce, Jusqu’à L, écrite et interprétée par Akeem H. Ibrahim (aka Washko), a d’emblée cet aspect plus léché et minutieux des productions organisées. Washko, danseur virtuose reconnu dans les battles hip-hop et les concours chorégraphiques, ayant dansé pour des grandes compagnies professionnelles engagées dans une écriture d’auteur et la recherche d’une esthétique plurielle à partir des danses urbaines, il fonde Uni’Son en 2008 en lien avec son pays natal des Comores et portant les valeurs humaines des danses de la rue. Jusqu’à L commence par l’éclat d’une allumette et se termine sur une vidéo, si contrastée qu’elle fait penser à des lasers déchirant l’espace au dessus de la salle, figurant Akeem sur scène, au départ superposée au danseur puis prenant le dessus, le corps réel devient virtuel, comme en filigrane, et laisse place à un noir abrupt, fin. Entre les deux s’est déroulée une épopée de l’humanité « artificière » de lumière, s’éclairant elle-même ou se perdant elle-même dans ses artifices. La lumière qui apporte sécurité, permet de survivre aux ténèbres (de toutes sortes), mais est aussi le partenaire nécessaire pour que l’homme ait une image visible. C’est à la fois ce rapport symbolique mais plus encore pratique, dirais-je, que le chorégraphe a pris comme ligne de conduite, avec la complicité de Clotilde Tranchard et Odilon Leportier, de la façon la plus obsessionnelle possible. En explorant les éclairages, c’est a contrario, aux nuit de l’humanité que nous pensons — nuit jamais aussi absolue qu’il n’y paraît, les longues nuits dans les forêts originelles, ni enfermé dans un cône de lumière aux bords impitoyables, ni poursuivi par les projecteurs des miradors ; Akeem garde toujours une remarquable intelligence du mouvement. Le thème est audacieux et prolifique et il aurait été opportun, pour une pièce de cette durée, de le resserrer car la pièce glisse peut-être un peu rapidement sur les trésors qu’elle fait naître et ne peut trouver ses silences pourtant ébauchés. Mais ces déséquilibres n’occultent guère le talent et la foi profonde dans la danse de cet artiste rare, complet et humain.

 

Soyons fous © D.R.

 

Enfin, Soyons fous avec la Cie Tché-za ! Egalement originaire des Comores, c’est aussi là, à Moroni, que les quatre interprètes et le chorégraphe, Salim Mzé Hamadi Moisi aka Seush, vivent et travaillent. La lumière se fait sur trois dos nus dont les muscles saillants créent un mouvement sinueux et abstrait. Nos yeux s’y accrochent : ils forment un bloc, un corps méconnaissable, un cœur battant, des organes glissant l’un contre l’autre dans un abdomen imaginaire, quelque chose d’à la fois mécanique et biologique. Derrière ces masses, dans un saut de côté changeant soudain complètement l’atmosphère, surgit un quatrième danseur, espiègle et non moins puissant que les trois montagnes sur lesquelles il se promène ! Cette troupe, portée par une énergie et un humour incroyables se meut comme un seul homme et porte sur scène une écriture contemporaine décloisonnée, riche d’images saisissantes et de scènes inattendues, au seul moyen de leurs corps dans l’espace ! Quatre danseurs et un chorégraphe fous tant par la virtuosité que l’originalité. Fous aussi comme pour une intention revendiquée car guidés par tous les fantasmes et fantaisies de leurs imaginations, ne censurant ni les stéréotypes, ni les envolées lyriques, ni la douceur ni la violence, ni leurs rêves, ni leur quotidien. N’hésitant pas à mixer dans leur mouvement les figures du hip-hop, celles des danses traditionnelles comoriennes, le mime présent dans le krump et l’écriture contemporaine. Salim alias Seush a tourné avec Anthony Egéa sur le spectacle Rage. On pourrait affirmer avec lui qu’il y a bien eu une filiation là, entre lui et ce chorégraphe issu de la première génération du hip-hop, dans cette vision universelle de la danse, la curiosité expérimentale, le métissage et les valeurs humanistes accompagnant la danse. Ils nous ont conquis.

 

 

Et si demain, de Nidal Abdo, collectif Nafass

Durée : 20 minutes

Chorégraphie et mise en scène : Nidal Abdo
Musique : Osloob, Trio Joubran
Costumes : Samer Al Kurdi

Lumières :  Jimmy Boury

Avec : Nidal Abdo, Samer Al Kurdi, Alaaeddin Baker et Maher Abdul Moaty

 

Jusqu’à L, Akeem H. Ibrahim, Cie Uni’Son

Durée : 35 minutes

Chorégraphe et interprète : Akeem H.Ibrahim (Washko)
Scénariste : sur une idée originale de Clotilde Tranchard
Lumière : Odilon Leportier
Musique : Loîc Ghanem
Vidéo : Mark Maboroug
Costumes : Virginie Richard
Regard extérieur : Audrey Hurtis

 

Soyons fous, Salim Mzé Hamadi, Cie Tché-za

Durée : 35 minutes

Direction artistique et chorégraphie : Salim Mzé Hamadi Moisi aka Seush
Musiques : Diwess

Avec : Abdou Mohamed, Mohamed Oirdine, Fakri Fahardine et Ahmed Abdel-Kassim

 

Le 22 mars 2019 à 20h

 

Institut du Monde Arabe

1 Rue des Fossés Saint-Bernard

75005 Paris

Réservation au 01 40 51 38 38

www.imarabe.org

 

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