Critiques // Critique • « Oh les beaux jours » de Samuel Beckett, au théâtre de la Madeleine

Critique • « Oh les beaux jours » de Samuel Beckett, au théâtre de la Madeleine

Fév 25, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Oh les beaux jours » de Samuel Beckett, au théâtre de la Madeleine

Critique d’Anne-Marie Watelet

1961. Beckett a depuis des décennies sonné le glas du sens et des codes habituels de l’écriture. Ses textes d’une puissance inouïe sont marqués par l’anéantissement de deux guerres mondiales. Ils sont une aubaine encore et toujours.

« J’ai pensé que qu’il n’y aurait qu’une femme pour faire face à cette situation et sombrer en chantant » déclare t-il à propos de Oh les beaux jours. Texte qui a sa propre logique, mais qui n’appelle pas une interprétation.

La situation: quelque part dans un désert brûlant, Winnie est bien vivante mais enlisée dans le sol et prisonnière de son immobilité. Le sommeil, impossible, l’ombre inexistante. Seuls la parole et de menus objets l’aident à « tirer » sa journée comme elle dit. Elle a un compagnon, Willy, un être larvaire aussi (comme le sont souvent les personnages de Beckett, par exemple dans Fin de partie: infirmes, entravés de toutes façons et attendant que ça s’arrête enfin), Willy donc, muet et enfoui dans un trou, dont il s’extirpe en rampant (tiens, le cloporte de Kafka?). Cloués au sol, ils sont  les restes d’une humanité en décomposition.

Dans cette représentation de l’angoisse et de l’acharnement à vivre, nous sommes quelques uns à rire (le public n’a pas trop osé… ou su). En effet, le personnage de Winnie se refuse à sombrer, et se donne le change avec frivolité et humour devant l’inéluctable retour des jours: « Oh le beau jour que ça aura été… Encore un… » répète t-elle. Et prend plaisir à  combler  le temps qui la sépare de l’aurore à la nuit / la mort qui finira bien par arriver. « Ce n’est pas encore le moment de la chanson ! » Oui, les habitudes, ça ponctue les journées, ça fait oublier la peur. On la voit fouiller dans son cabas; et elle parle, s’étonne, rêve, appelle  Willy, absurdement: « Ne gaspille pas tous les mots de la journée, fais quelque chose! » lui conseille t-elle à lui, muet. Et puisqu’elle doit durer, autant le faire avec dignité: « Tiens-toi Winnie, tiens-toi ! » Mais la lumière décline, et là enfin elle chante…

C’est nous, encore aujourd’hui, que nous voyons à travers Winnie, c’est notre angoisse à remplir à tout prix et au mieux ce temps qui nous est imparti; à comprendre notre condition et notre destin.

A propos de la comédienne Catherine Frot: « La représentation que nous avons rêvée ensemble tend vers la lumière, vers l’éclat d’une voix qui surgit comme un appel à ne pas se laisser anéantir » déclare Marc Paquien, le metteur en scène Et c’est ce que souhaitait l’auteur qui voyait en ce personnage « un être en apesanteur que la terre cruelle dévore ». C’est à dire animée malgré tout du désir de vivre. D’où la nécessité d’être incarnée par une comédienne dans la force de l’âge, joyeuse, mélancolique, lucide. Et C. Frot est tout cela. Elle est lumineuse, sa voix mélodieuse et claire porte à merveille la musicalité du texte.  Et elle fait rire, grâce à cette sorte d’innocence enfantine qui émane de ses paroles. Or rire est essentiel ici, le rire parodique qui atteint sa cible en montrant l’homme (le personnage) digne d’intérêt, magnifié dans sa souffrance et son sourire, comme dans tous les grands textes parlant d’horreurs humaines, de décadence… Et si les codes et la logique sont pervertis, il y a la liberté en plus. G. Deleuze appelle ça « comique du surhumain », ou bien « clown de Dieu » (1) expressions parfaites qui peuvent caractériser tout personnage créé dans un tout autre art.

Cette adaptation est en tous points réussie, une des nombreuses variations de l’oeuvre que Beckett n’aurait pas reniée.

Le spectacle agit comme une catharsis.

(1)  L’Ile déserte et autres textes, cité dans le dossier de presse « Autour d’Oh les beaux jours »

Oh les beaux jours

Texte : Samuel Beckett

Mise en scène : Marc Paquien assisté de Martine Spangaro

Collaboration artistique : Elisabeth Angel-Perez

Décor : Gérard Didier

Costumes : Claire Risterucci

Lumière : Dominique Bruguière

Maquillage : Cécile Kretschmar

Avec Catherine Frot et Pierre Branderet

Du 20 janvier au 29 mars 2012

Du mardi au samedi  21h – dimanche 15h

Théâtre de La Madeleine

19 rue de Surène,  Paris 8ème

Métro Madeleine réservation au 01 42 65 07 09

wwwtheatremadeleine.com

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