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Critique • « Contes Africains » d’après Shakespeare au Théâtre National de Chaillot

Mar 17, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Contes Africains » d’après Shakespeare au Théâtre National de Chaillot

Critique de Dashiell Donello

Quand Warlikowski met en scène Kurosawa dans « 2012 l’odyssée de Shakespeare »


Imaginez

un mur de patchouli où les briques seraient des casiers de consignes vides, les portes des artères de sang et les fenêtres des bouches affamées de chair.

Osez

voir cette boucherie casher dans l’air aseptisé des prières. Créer votre rêve de vérité dans la peur de n’être pas au monde. Venez avec moi à la morgue de la fiction pour toucher le réel dans une lumière noire.

Soyez

fou en quittant la salle et/ou sage en restant dans votre siège.

Vous êtes noir ! Juif ! Des souris « Maus » de chez Spiegelman ! Des porcs de la ferme d’Orwell ! Le zoomorphisme d’un carnaval humain joue sur scène une farce qui tourne à la tragédie. Vous réclamez l’amour en despote sénile. Vous voulez la chair de la vengeance. Vous violez et tuez la jalousie dans le lit de l’amour. Les âges de votre vie s’appellent : Lear, Othello, Shylock, Desdémone, Cordélia, Portia. Le masculin dans cette exception de grammaire tragique ne l’emporte pas sur le féminin qui ne confirme pas la règle.

Regardez le film « Vivre » de Kurosawa (1910-1998), dans une mise en scène, où l’odyssée Shakespearienne nous mène d’un trou cancérigène à la salsa de l’espoir. Que vos yeux se rappellent : le royaume, le mariage mixte juif, noir, blanc. La haine, l’amour et la folie. Qu’un regard d’une fille à son père absout dans un hôpital à l’heure de la mort.

Rêvez

à l’utopie réalisée d’un lieu sans racisme, ni antisémitisme. Voilà ce qui est dit dans « Contes Africains ».

©Marie-Françoise Plissart

Le théâtre Ecorché de Warlikowski, une blessure créative

Le théâtre de Warlikowski vient de son intuition subjective. Il fait avec ce qu’il est. Sa nationalité Polonaise, sa culture et son histoire. Shakespeare s’alimentait du conte, Warlikowski s’inspire du grand Will et de Histoire du monde. Est-ce la blague sur le sang gazeux qu’auraient les juifs qui a fait partir une partie du public ? Mais si on cherche le sens de cet écorché à l’identité Cracovienne, n’est-il pas dans cette dangereuse blague génocidaire ? Le ghetto n’est il pas représenté sur ce plateau qui tient à la fois d’une morgue, d’un vestiaire et d’une boucherie casher ? Est-ce de cela que Krzysztof Warlikowski nous parle ? Est-ce cela qui dérange une partie du public et enchante l’autre moitié ? « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », disait Pierre Desproges. Si on cherche un théâtre qui nous parle d’aujourd’hui avec les contes d’hier, il faut voir « Contes Africains ».

La mise en scène prend vie par les poumons, elle respire. C’est une blessure créative. La sonorisation du jeu de l’acteur amplifie l’émotion. Mais pas seulement, ce serait trop simple, elle nous donne aussi à entendre l’écho de l’horreur, les suaves respirations de la sexualité, la vomissure du trop plein et les phantasmes de ce qui ne peut se dire, mais se réalise dans l’action. L’intelligence du montage entre Shakespeare, Coetzee, Cleaver et Mouawad, nous donne une tragédie de notre temps. La troupe est limpide, talentueuse et maîtrise son art de l’émotion avec magie. Voilà pour le positif.

Pour le négatif une scénographie pataude dans le sens de la vision. Selon que l’on soit en haut ou en bas des gradins. La lecture de la vidéo de « vivre » est difficile à lire, ainsi que les surtitrages  (superbement traduits). Les comédiens doivent faire le tour du quadrilatère de la scène pour entrer et sortir d’un espace à l’autre. Mais peut-être que la réplique « le monde manque de lieu » a été prise au pied de la lettre. De toutes les façons la pièce « Contes Africains » va vivre et grandir à chaque représentation. Le théâtre de Warlikowski est en expansion comme notre monde bouleversé. Mais, c’est ce qui nous bouleverse qui est tout. Bouleversés, nous le sommes. Et si l’histoire du monde n’était qu’une salsa ?

Contes africains

Texte d’après Shakespeare (Le Roi Lear, Othello et Le Marchand de Venise), JM Coetzee (L’Eté de la vie et Au cœur de ce pays), Eldridge Cleaver (Soul of Ice) et Wajdi Mouawad

Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Adaptation Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczynski

Décor et costumes Małgorzata Szczesniak

Dramaturgie Piotr Gruszczynski

Musique Paweł Mykietyn

Lumière Felice Ross

Vidéo Kamil Polak

Chorégraphie Claude Bardouil

Avec Stanisława Celinska, Ewa Dałkowska, Adam Ferency, Małgorzata Hajewska, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska, Piotr Polak, Magdalena Popławska, Jacek Poniedziałek

Production Nowy Teatr-Varsovie

Coproduction Théâtre de la Place – Liège / Théâtre National de Bretagne – Rennes / Emilia Romagna Teatro Fondazione – Modène / Schaubühne am Lehniner Platz – Berlin / Fundação Centro Cultural de Belém – Lisbonne / Tutkivan Teatterityön Keskus – Tampere / Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg / Théâtre National de Chaillot

Avec le soutien du Programme culture de l’Union Européenne, la Ville de Varsovie, l’Institut Adam Mickiewicz, l’Institut Polonais de Paris et Wallonie-Bruxelles International

Dans le cadre du projet Prospero, accord de coopération culturelle européenne

Théâtre National de Chaillot

1 place du Trocadéro 75116 Paris

Métro Trocadéro

Réservations 01 53 65 30 00

http://theatre-chaillot.fr

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